Angles-sur-l'Anglin2Par un arrêt du 13 décembre 2013 (CE, 13 déc. 2013, n°356321, publié au Lebon), le Conseil d’Etat rappelle qu’une centrale hydroélectrique peut perdre son droit d’usage de l’eau en cas de ruine, de changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente ou le volume de ce cours d’eau ou quand la force motrice du cours d’eau n’est plus suffisante. La perte de ce droit est encourue même si l’autorisation auparavant obtenue n’a pas été abrogée ou retirée.

En l’espèce, une société d’exploitation avait bénéficié en 2006 d’un arrêté préfectoral lui transférant un ancien arrêté préfectoral de 1859 définissant le fonctionnement d’un moulin à eau et valant autorisation l’utilisation de l’énergie hydraulique de la rivière. A la demande d’une société hydroélectrique située en amont de la rivière, la Cour administrative d’appel avait annulé le premier jugement lui donnant tort et avait surtout annulé l’arrêté préfectoral de transfert considérant que le droit d’usage de l’eau attaché à l’installation hydraulique avait été perdu du fait de la ruine de l’installation. La société bénéficiaire s’est alors pourvue en cassation.

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord le régime applicable à ces droits acquis avant la loi du 16 octobre 1919. Cette loi de 1919 a depuis été codifiée dans le code de l’énergie (à l’exception de son article 2, alinéa 5 concernant les cours d’eaux réservés, la loi du 16 octobre 1919 a été abrogée par l’entrée en vigueur le 1er juin 2011 de l’ordonnance du 9 mai 2011 portant codification de la partie législative du code de l’énergie, qui a été ratifiée par la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013).

En effet, l’article L 511-9 du code de l’énergie (anciennement le dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919) dispose que :

« Les installations hydrauliques autorisées à la date du 18 octobre 1919 et dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts demeurent autorisées conformément à leur titre et sans autre limitation de durée que celle résultant de la possibilité de leur suppression dans les conditions fixées au titre Ier du livre II du code de l’environnement« .

La jurisprudence avait déjà pu préciser que l’exploitant d’une centrale autorisée avant le 18 octobre 1919 (date d’entrée en vigueur de la loi du 16 octobre 1919) et dont la puissance était inférieure à 150kW demeurait autorisée au double titre de la police de l’énergie d’une part, et de la police de l’eau d’autre part, sans limitation de durée (CAA Nancy, 4 juin 2012, n°11NC01016, « Sté hydroélectrique du P. »).

De même, ce maintien de l’autorisation est de droit même si l’installation voit sa puissance augmentée de 20%. En effet, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé cette possibilité d’augmentation de la puissance installée prévue par l’article L 511-6 du code de l’énergie n’empêche pas le maintien de l’autorisation obtenue avant le 18 octobre 1919 et ne lui fait pas perdre sa durée illimitée (CAA Bordeaux, 1er avr.2008, n°07BX00788).

En l’espèce, le Conseil d’Etat rappelle que les autorisations obtenues avant le 18 octobre 1919 réglementaient des droits à l’usage de l’eau avaient la nature de droits réels immobiliers et sont distincts des droits fondés en titre. La Haute juridiction en tire plusieurs conséquences:

  • le droit d’usage de l’eau est, pour les installations autorisées au titre du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919, attaché à l’installation elle-même ;
  • qu’un tel droit se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau, alors même que l’autorisation qui en réglemente l’usage n’aurait pas été abrogée ou retirée, comme le permettent les dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 ;

Et en l’espèce, il est relevé que le barrage de ce moulin avait été entièrement détruit par les crues de 1930 qu’il n’avait pas fait l’objet d’une reconstruction. Que par suite, les « ouvrages essentiels destinés à exploiter la force hydraulique de la rivière se trouvent dans un état de ruine » qui est de nature à faire perdre au moulin le droit d’usage qui lui était attaché par l’arrêté de 1859.

 

Cette décision du 13 décembre 2013 est à rapprocher d’une autre décision du Conseil d’Etat de 2004 (CE, 5 juill. 2004, n° 246929, SA L., publié au Lebon), où il avait été jugé que « la force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété ; qu’il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau ; qu’en revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit ; »

La question du maintien de droits acquis antérieurement est une question complexe, donnant lieu à une jurisprudence abondante. C’est une question cruciale pour les exploitants au regard du régime juridique particulier qui s’y attache et doit donc être scrupuleusement analysée.

Stéphanie Gandet

Green Law Avocat