Epandage aérien: le Conseil d’Etat suspend l’arrêté prévoyant des dérogations à l’interdiction de principe (CE, ord. 6 mai 2014, n°376812)

Crop DustingLe Conseil d’Etat vient de suspendre par ordonnance de référé en date du 6 mai 2014 l’arrêté du 23 décembre 2013 de la ministre des affaires sociales et de la santé, du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt relatif aux conditions d’épandage par voie aérienne des produits mentionnés à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.

Cet arrêté prévoyait des dérogations à l’interdiction de principe énoncée par l’article L253-8 du code rural et de la pêche maritime en ces termes:

« La pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques est interdite.

Par dérogation, lorsqu’un danger menaçant les végétaux, les animaux ou la santé publique ne peut être maîtrisé par d’autres moyens ou si ce type d’épandage présente des avantages manifestes pour la santé et l’environnement par rapport à une application terrestre, la pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques peut être autorisée par l’autorité administrative pour une durée limitée, conformément aux conditions fixées par voie réglementaire après avis du comité visé à l’article L. 251-3. »

Cette interdiction résulte de l’article 9 de la directive 2009/128/CE du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable prévoyant que « 1. Les États membres veillent à ce que la pulvérisation aérienne soit interdite. / 2. Par dérogation au paragraphe 1, la pulvérisation aérienne ne peut être autorisée que dans des cas particuliers, sous réserve que les conditions ci-après sont remplies: a) il ne doit pas y avoir d’autre solution viable, ou la pulvérisation aérienne doit présenter des avantages manifestes, du point de vue des incidences sur la santé humaine et l’environnement, par rapport à l’application terrestre des pesticides ».

Le Conseil d’Etat avait été saisi le 28 mars dernier par trois associations de protection de l’environnement en Guadeloupe, d’un référé en urgence tendant à ce que l’exécution de cet arrêté soit suspendue. Elles soutenaient que:

  • la condition d’urgence (condition d’application du référé suspension) est remplie, dès lors que l’arrêté litigieux porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à la santé et à l’environnement ;
  • l’arrêté contesté est contraire aux dispositions de la directive 2009/128 du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009, dès lors qu’il ajoute une possibilité de déroger à la règle de l’interdiction des épandages aériens lorsqu’ils présentent un avantage manifeste pour la sécurité des opérateurs ;
  • il méconnaît les principes constitutionnels de précaution et de participation du public ;

La Haute juridiction a en effet tout d’abord reconnu le caractère urgent de la suspension en se fondant sur les effets juridiques immédiats susceptibles d’être créés par l’arrêté ministériel:

« que  les préfets de département, saisis d’une demande en ce sens , sont susceptibles, à l’issue de la consultation publique préalable obligatoire,  de prendre à tout moment un arrêté, sur le fondement de l’arrêté contesté, accordant une dérogation à l’interdiction de l’épandage aérien ; que, si la dérogation  est publiée le jour de sa  signature sur le site de la préfecture concernée avant la réalisation des opérations de traitement, ces opérations sont susceptibles d’intervenir cinq jours ouvrés après avoir fait l’objet d’une déclaration préalable, et leur réalisation doit être portée à la connaissance du public au plus tard 72 heures avant le traitement ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’espèce, et en particulier de la brièveté des délais susmentionnés, l’exécution de l’arrêté litigieux est susceptible de porter une atteinte grave et suffisamment immédiate aux intérêts défendus par les associations requérantes « .

Quant à la légalité de l’arrêté, le Conseil d’Etat ne se prononce qu’à l’égard du moyen relatif au respect de la directive communautaire, en soulignant que l’arrêté ministériel ajoute un cas dérogatoire à l’interdiction non prévu par les textes. En effet, l’arrêté prévoit en son article 3 une dérogation à l’interdiction de la pratique des épandages aériens « lorsqu’un organisme nuisible menaçant les végétaux ne peut être maîtrisé par d’autres moyens de lutte, ou si cette technique présente des avantages manifestes, dûment justifiés, pour la santé, l’environnement ou la sécurité et la protection des opérateurs du fait de l’impossibilité du passage de matériels terrestres en raison : – de la hauteur des végétaux ; ou / – d’une pente ou dévers des parcelles trop importants : ou / – d’une portance des sols trop faible ».

Les magistrats administratifs considèrent que ce texte a pour effet de permettre une dérogation à l’interdiction de la pulvérisation aérienne sur le seul critère de la sécurité et de la protection des opérateurs, ce qui créé un doute sérieux quant à sa légalité. 

Concrètement, la suspension de l’arrêté empêche les autorités préfectorales d’accorder des dérogations sur la base de cet arrêté, et ce au moins jusqu’à ce que le Conseil d’Etat se prononce sur le fond de la requête et décide ou non d’annuler l’arrêté contesté. Un délai approximatif de 6 à 18 mois peut être attendu.

Stéphanie GANDET

Green Law Avocat