Wind turbine power cordDans un arrêt en date du 19 septembre 2014 (consultable ici), le Conseil d’Etat revient sur la notion d’urbanisation en continuité de la loi « Montagne » que prévoit le III de l’article L 145-3 du code de l’urbanisme, et sur l’applicabilité de ces dispositions aux projets éoliens.

Rappelons qu’aux termes de cet article, il existe en zone de montagne une obligation d’urbaniser en continuité avec les éléments énumérés par le code de l’urbanisme :

« sous réserve de l’adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l’extension limitée des constructions existantes et de la réalisation d’installations ou d’équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants » (C. urbanisme, Art. L 145-3, III : sur l’interprétation de ces dispositions, voir notre article du 6 avril 2014 ici)

En l’espèce, une association de protection de l’environnement et des riverains contestaient les arrêtés par lesquels le préfet de l’Aveyron avait autorisé la construction de quatre éoliennes et d’un poste de livraison : au soutien de leur recours, ils invoquaient notamment une méconnaissance de l’obligation d’urbanisation continue, au motif que les éoliennes ne se situaient pas dans le prolongement des espaces urbanisés.

A l’instar du Tribunal, la Cour administrative d’appel avait rejeté leur recours et jugé que les éoliennes pouvaient être considérées comme des équipements publics susceptibles de bénéficier de l’exception à cette obligation prévue par le code de l’urbanisme :

« Considérant en second lieu, qu’aux termes du III de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme : Sous réserve de l’adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l’extension limitée des constructions existantes et de la réalisation d’installations ou d’équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants (…) ; qu’il ressort des pièces du dossier que le projet de la SNC Esco consiste, ainsi qu’il a été dit, en l’implantation de quatre aérogénérateurs d’électricité au sommet de mâts de plus de 100 mètres de haut, de nature à engendrer des nuisances, notamment sonores, à sa proximité ; qu’un tel projet, eu égard à son importance, est incompatible avec le voisinage des zones habitées ; qu’il ressort également des pièces du dossier que les 15 à 18 gigawatts par heure de production électrique que doit engendrer le parc éolien ont vocation, non pas à faire l’objet d’une consommation privée, mais à être vendus au gestionnaire du réseau général et à alimenter celui-ci ; qu’eu égard à cette destination, et quand bien même elles doivent rester la propriété d’une société privée, ces éoliennes peuvent bénéficier de la dérogation prévue au III de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme ; » (CAA Bordeaux, 05 janvier 2012, n°10BX01911)

La juridiction d’appel avait donc, de manière classique, identifié les éoliennes à des installations d’intérêt public en tant qu’elles contribuent à la satisfaction d’un besoin collectif par la production d’électricité destinée au public (CE, 13 juillet 2012, n°343306 ; CAA Nantes, 1er février 2013, n° 10NT00775 ; CAA Lyon, 30 octobre 2012, n°11LY03046 ; CAA Marseille, 15 mars 2012, n°10MA01595 ; Rép. Min., Q n°17006, JOAN 24 juin 2008, p. 5399 ; Rép. Min., Q n°77107, JOAN, 17 janvier 2006, p. 596), avant de reconnaître l’impossibilité de les implanter à proximité des zones d’habitation, notamment en raison des nuisances sonores qu’elles peuvent engendrer pour le voisinage.

A cet égard, on ne manquera pas d’observer qu’outre la problématique des nuisances sonores, les éoliennes ne peuvent en tout état de cause pas être construites à moins de 500 mètres des constructions à usage d’habitation depuis 2011 (article 3 de l’arrêté ministériel du 26 août 2011).

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat confirme l’interprétation de la Cour :

« Pour qualifier le parc éolien envisagé d' » équipement public  » au sens de ces dispositions, la cour a relevé que les 15 à 18 gigawatts par heure de production électrique que devait engendrer le parc éolien avaient vocation, non pas à faire l’objet d’une consommation privée, mais à alimenter le réseau général de distribution d’électricité. La cour s’est ainsi fondée, pour retenir cette qualification, sur la contribution du projet à la satisfaction d’un besoin collectif par la production d’électricité destinée au public et n’a, ce faisant, ni commis d’erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis. Elle n’a pas davantage commis d’erreur de droit en tenant compte non seulement de la nature mais aussi de l’importance des ouvrages concernés pour juger que l’implantation de telles éoliennes était incompatible avec le voisinage de zones habitées. »

Faisant application du principe lex specialis derogat legi generali (ie :la loi spéciale déroge à la loi générale), la Haute Juridiction précise également que les dispositions précitées doivent prévaloir sur celles qui permettent au Préfet de refuser un permis de construire aux projets « de nature à favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec la vocation des espaces naturels environnants » (C. urbanisme, ancien article R. 111-14-1, et actuel article R.111-14) :

« En cinquième lieu, les dispositions du III de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme régissent entièrement la situation des communes classées en zone de montagne pour l’application de la règle de constructibilité limitée, qu’elles soient ou non dotées d’un plan d’occupation des sols, d’un plan local d’urbanisme ou d’une carte communale. Ainsi, en jugeant que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir des dispositions du a) de l’article R. 111-14-1 alors applicable aux communes, telles que Lavernhe-de-Séverac, dépourvues de plan local d’urbanisme approuvé ou de document d’urbanisme en tenant lieu, en vertu desquelles le permis peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions sont de nature, par leur localisation ou leur destination, à favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec la vocation des espaces naturels environnants, la cour n’a pas commis d’erreur de droit. »

Enfin, toujours à propos de la protection des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, l’arrêt confirme la position de la Cour administrative, qui avait jugé que l’instauration d’une telle protection en zone naturelle ne fait pas obstacle à l’implantation d’éoliennes :

« Considérant que, d’une part, en vertu de l’article R. 123-18 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au plan d’occupation des sols de Séverac-le-Château, les zones ND sont des zones à protéger en raison, d’une part, de l’existence de risques ou de nuisances, d’autre part, de la qualité des sites, des milieux naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique ; que ces dispositions ont été reprises par les auteurs du plan d’occupation des sols de Séverac-le-Château pour définir la zone ND de leur commune ; que toutefois, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces dispositions n’interdisent pas par principe l’édification d’éoliennes en zone ND ; qu’ainsi, l’article 2 du règlement de la zone ND du plan d’occupation des sols n’est, en tout état de cause, ni incompatible avec la vocation de la zone, ni contradictoire avec les autres dispositions de ce règlement ; » (CAA Bordeaux, 05 janvier 2012, n°10BX01911)

On notera que l’arrêt du 19 septembre 2014 s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence de 2010 (CE, 16 juin 2010, n°311840), qui avait déjà étendu les conséquences de l’assimilation des éoliennes à des installations d’intérêt public au domaine particulier des règles applicables en zone de montagne, confirmant ainsi le statut dérogatoire des aérogénérateurs déjà reconnu pour les zones agricoles ou naturelles (Rép. min. n°77107: JOAN Q 1er août 2006, p. 8011; CE 18 juill. 2012, Sté EDP Renewables, req. n°343306).

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat