Eolien: l’atteinte aux paysages au titre de l’article R. 111-21 doit s’apprécier machine par machine (TA Châlons-en-Champagne, 5 déc. 2014, n°1301068)

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Lou Deldique- Green Law Avocat

Un intéressant jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (TA de Châlons-en-Champagne, 5 décembre 2014, n°1301068, AJDA 2015, p. 709, consultable ici : jugement TA CHALONS 4.12.14) explicite l’obligation de l’administration d’apprécier in concreto l’impact paysager d’un parc éolien .

Par sept décisions motivées de manière identique, le préfet des Ardennes avait, au visa de l’article R.111-21 du code de l’urbanisme, refusé de délivrer les permis de construire afférents à six éoliennes et à un poste de livraison : l’autorité administrative avait ainsi considéré que le projet (apprécié dans son ensemble) était de nature à dénaturer les paysages environnants en raison d’un effet de surplomb sur une commune d’une part, et d’un phénomène de covisibilité avec un monument historique, d’autre part. En soi, rien que de très classique dans des refus de PC éoliens.

L’opérateur contestait ces refus et reprochait notamment au préfet de ne pas avoir examiné individuellement chacune des demandes de permis.

Il convient en effet de préciser qu’il n’est pas rare que seules certaines des machines projetées soient en covisibilité avec un monument historique, ou que certaines soient mieux intégrées à un parc préexistant que d’autres.

Tirant les conséquences de la divisibilité des permis éoliens expressément reconnue par le juge administratif (CAA Nancy, 12 juin 2014, n°13NC01422 pour une machine en particulier ; CE, 1er mars 2013, Epoux Fritot, n°350306 ; CE, 6 novembre 2006, n°281072 ; CAA Lyon, 12 octobre 2010, n°08LY02786 ; CAA Nantes, 22 juin 2010, n°09NT02036 ; CAA Nantes, 7 avril 2010, n°09NT00829 ; CAA Lyon, 23 octobre 2007, n°06LY02337 pour un poste de livraison), le Tribunal administratif de Châlons a considéré que le Préfet ne pouvait se contenter d’évaluer l’impact global du parc, et qu’il lui incombait au contraire de procéder à un examen particulier de chacune des machines.

Les décisions de refus ont donc été annulées pour erreur de droit :

« Considérant que les dispositions [de l’article R.111-21 du code de l’urbanisme] permettent à l’administration de refuser un permis de construire si la construction est de nature à porter atteinte à la qualité d’un site, notamment par sa situation et ses dimensions ; que les arrêtés attaqués précisent que « le projet se compose notamment d’une ligne de 4 machines, parallèle à celle accordée, localisée au sud du parc accordé » et que « bien que les 6 éoliennes projetées renforcent le parc autorisé en confirmant visuellement son organisation spatiale, elles provoquent un effet de surplomb sur l’ensemble de la commune de L’Echelle » ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de la motivation des arrêtés attaqués, que le préfet des Ardennes a fondé ses décisions sur des motifs tirés de ce que six éoliennes étaient prévues en surplomb du village de l’Echelle avec des covisibilités très défavorables et de ce que le projet de parc éolien risquait d’avoir un impact négatif important sur la présentation du monument historique de cette commune ainsi que sur son environnement bâti ; que le préfet a examiné l’impact global des six éoliennes mais il n’a fait application des mêmes critères d’analyse pour chaque éolienne prise isolément alors que, notamment, le paysage, dominé par le bocage, devait l’y conduire compte tenu des différences possibles d’impact de chacune des éoliennes ; que, ce faisant, il s’est abstenu de procéder à l’examen particulier des projets de construction de six éoliennes et d’un poste de livraison électrique présentés par la Société WPD énergie 21 N 17 ; que, dès lors, la société requérante est fondée à soutenir que les décisions attaquées sont entachées d’une erreur de droit ;

Considérant que le préfet affirme que le projet de construction de six éoliennes créé un effet de surplomb au-dessus du village de L’Echelle dont le château est classé en se fondant notamment sur la teneur des avis défavorables émis par l’architecte des bâtiments de France et la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ; que si le préfet produit un photomontage, lequel ne fait apparaître que deux éoliennes, qu’au demeurant il n’identifie pas, surplombant le bourg de la commune de L’Echelle, la société soutient que ce photomontage est issu d’un projet qui a été abandonné ; que le préfet n’a pas produit le photomontage, demandé par le Tribunal, identifiant chaque éolienne surplombant la commune de L’Echelle ; que le photomontage n° 1 reproduit en page 83 de l’étude paysagère montre que les éoliennes, cachées par le relief et le bâti, ne sont pas visibles en arrivant à L’Echelle ; que le photomontage n° 37 reproduit en page 84 de l’étude paysagère montre une éolienne en surplomb du bourg mais située à l’arrière-plan, derrière un petit massif forestier ; que la comparaison des différents scénarios décrite en page 89 de l’étude d’impact sur l’environnement mentionne que, pour chacun des projets, la vue des éoliennes est « masquée par le relief et la végétation en entrée et dans le village » ; que le préfet n’établit pas, par les pièces qu’il produit, que le projet de parc éolien pris dans son ensemble ou l’une des éoliennes prise individuellement créé un effet de surplomb au-dessus du bourg de l’Echelle ; »

 

Il ressort du jugement, mais aussi d’une note du Rapporteur Public publiée dans l’AJDA (note de Mme Stéphanie LAMBING, AJDA, p. 710) que la nature du paysage et la disposition des éoliennes ont joué un rôle déterminant dans le raisonnement des juges : en effet, s’agissant d’un paysage de bocage, vallonné de surcroit, l’impact de machines étalées sur plus d’un kilomètre ne pouvait être le même pour chacune d’entre elles.

Notons que le même raisonnement a déjà été suivi lors de l’appréciation des risques au titre de l’article R. 111-2, lorsque l’un des aérogénérateurs se situe en dehors d’une zone grevée de servitudes aéronautiques, ou au-delà d’une certaine distance par rapport aux habitations (CE, 6 novembre 2006, n°281072 ; CAA Nancy, 12 juin 2014, n°13NC01422).

Cette décision pragmatique doit bien évidemment être saluée, ce d’autant que, comme précisé plus haut, l’hypothèse d’un impact paysager différencié est fréquente. Il conviendra toutefois, à notre sens, de veiller à ce que les annulations de refus partielles ne conduisent pas à remettre en cause l’économie paysagère du projet en tant que tel. Car le schéma d’implantation d’un parc éolien est généralement conçu de manière à assurer une certaine harmonie visuelle et à éviter les effets de mitage, notamment lorsque les machines sont destinées à cohabiter avec un projet préexistant.