En 2019, un nouvel élan pour le contentieux de l’urbanisme ? (Loi 2018-1021 du 27 novembre 2018)

Klavierspielender Plüsch-ElchPar Maître Lou DELDIQUE, Avocat of counsel – GREEN LAW AVOCATS (lou.deldique@green-law-avocat.fr)

Entrée en vigueur le 1er janvier 2019, la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « ELAN », est la star incontestée de cette rentrée juridique.

Retour sur les modifications apportées au contentieux de l’urbanisme.

Encadrement des recours des associations

Le nouvel article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme prévoit désormais que pour avoir intérêt à agir contre une « décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols », l’association doit avoir été constituée au moins « au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »

Notons que cette règle est beaucoup plus sévère que celle qui s’applique aux autres requérants, dont l’intérêt à agir est apprécié au jour de l’affichage de la demande d’autorisation en mairie.

Par ailleurs, l’article L. 600-8 prévoit dorénavant que les associations ne peuvent conditionner leur désistement en échange d’une somme d’argent, sauf à ce qu’elles agissent « pour la défense de leurs intérêts matériels propres. »

Importance du référé suspension

S’inscrivant dans la continuité du décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 (voir notre analyse ici), qui avait modifié l’article R.612-5-2 du code de justice administrative en précisant que  le requérant qui a perdu un référé suspension pour défaut de moyen sérieux est réputé se désister de sa requête au fond s’il n’a pas confirmé son maintien dans un délai d’un mois, la loi ELAN a modifié l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme qui prévoit désormais :

  • Qu’aucun référé suspension ne peut plus être introduit contre une autorisation d’urbanisme une fois que le délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort a expiré.

Cette disposition peut faire craindre un commencement systématique des travaux par le pétitionnaire une fois que la cristallisation des moyens est acquise, ce d’autant que l’article R.600-5 (dans sa version issue du décret du 17 juillet 2018) prévoit qu’elle intervient automatiquement deux mois après la communication du premier mémoire en défense.

Rappelons à cet égard que depuis l’entrée en vigueur de la loi Macron en 2015 (voir notre analyse ici), il est presque toujours impossible d’obtenir la démolition d’une construction illégale : il en résulte qu’une fois que la construction a été érigée, le recours au fond perd sensiblement de son intérêt.

Toutefois, cette disposition peut être saluée, car une fois la cristallisation des moyens intervenue, le porteur de projet est en mesure de déterminer, en principe, le risque concret présenté par le recours. Il saura donc se déterminer à débuter ou non la construction, en fonction du soutien des financeurs. C’est dans ce cadre en particulier que le cabinet intervient en matière d’audits de risque contentieux.

  • Que la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée remplie lorsque le référé concerne une autorisation d’urbanisme. Le référé semble donc dorénavant pouvoir être introduit avant le commencement des travaux (qui était jusque-là nécessaire pour que l’urgence soit reconnue : CE, 8 août 2001, n°233970 ; CE, 27 août 2001, n°235715 ; CE, 5 décembre 2001, n°237294 ; CE, 21 octobre 2005, n°280188 ; CE, 18 février 2009, n°317707 ; CE, 1er juillet 2010, n°330702 ; CE, 16 juillet 2010, n°330154).

En réalité, si l’on considère qu’un référé peut être introduit avant le début du chantier, la combinaison de ces deux nouvelles règles pourrait contraindre les requérants à systématiquement déposer un référé dès le début de la procédure. Concrètement, cela signifie que le contentieux des autorisations d’urbanisme serait toujours traité en urgence… ce qui est évidemment intéressant pour le pétitionnaire impatient de commencer à construire.

Toutefois, il est permis de penser que cette accélération des délais contentieux risque fort :

  • De conduire à un appauvrissement du débat juridique ;
  • De limiter les possibilités de régularisation en cours de procédure (en effet, l’obtention d’un permis modificatif sera souvent difficile dans de si brefs délais).

Régularisation en cours de contentieux

La loi ELAN modifie les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme en rendant systématique le recours à l’annulation partielle ou conditionnelle (sur ce point voir : L. DELDIQUE, « Articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme : retour d’expérience sur les nouveaux pouvoirs du juge », Droit de l’environnement, n°223, Mai 2014).

En effet, si le juge pouvait déjà, à la demande des parties, ne prononcer qu’une annulation partielle ou surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation du permis, il est aujourd’hui tenu de le faire, y compris après l’achèvement des travaux. Et s’il considère que les dispositions des articles précités ne trouvent pas à s’appliquer, il doit motiver sa décision.

Un nouvel article L. 600-5-2 dispose quant à lui que « Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »

Cette mesure a l’avantage d’éviter la multiplication des contentieux en cas de délivrance d’une autorisation modificative en cours de procédure.

Notons toutefois que les juridictions administratives jugeaient déjà souvent le permis modificatif en même temps que le permis initial, et que le Conseil d’État avait précisé que lorsque des tiers ont attaqué un permis de construire, le pétitionnaire doit leur notifier tout nouveau permis ou permis modificatif portant sur le même projet pour faire courir le délai de recours ouvert contre la nouvelle autorisation (CE, 23 mai 2011, n° 339610 ; CE 06 novembre 2013, n° 356088 ; CE, 23 mars 1973 Compagnie d’assurances l’Union, n° 80513 ;  CE, 15 avril 1996, Institut de radiologie et autres, n°128997 et 129835).

Recours abusifs

L’article L. 600-7 est réécrit de manière à faciliter les demandes de sanction des recours abusifs en supprimant la condition l’obligation de démontrer « un préjudice excessif ».

La présomption d’action légitime dont bénéficiaient les associations agréées est par ailleurs supprimée.

Incidence de l’annulation du document d’urbanisme en vigueur

Un nouvel article L. 600-12-1 précise que l’annulation du document d’urbanisme sur la base duquel l’autorisation a été délivrée est sans incidence sur la légalité de celle-ci, sauf si l’annulation du PLU porte sur un motif qui n’est pas étranger aux règles applicables au projet.

Bien évidemment, cette règle ne s’applique pas aux refus d’autorisation, de sorte que l’annulation du PLU conduit à celle de la décision individuelle et qu’une exception d’illégalité reste toujours invocable.