Décoiffant : annulation d’un refus de PC éolien fondé sur un avis de la Défense lui-même illégal

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Maître Lou DELDIQUE (Green Law Avocat)

Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 29 décembre 2014, Société Ferme éolienne de Maisons, n°13NT03362) rappelle l’incidence de l’illégalité d’un avis de l’Armée sur l’arrêté portant refus ou délivrance de permis de construire éoliens. Et gageons que cette espèce devrait conduire la grande muette à regarder les opérateurs éoliens avec un peu moins de dédain.

Rappelons en effet que l’avis émis par le Ministre de la Défense dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis de construire en application des dispositions combinées des articles R. 244-1 du code de l’aviation civile, R. 425-9 du code de l’urbanisme et L. 6352-1 du code des transports, n’est pas un simple avis technique, mais une véritable autorisation.

Il en résulte que Préfet se trouve en situation de compétence liée pour refuser les permis éoliens sollicités lorsque cet avis est négatif (CAA Douai, 27 juin 2013, n°11DA01818 ; CAA Nantes, 12 juillet 2013, n° 12NT03253 et n° 12NT03252; CAA Lyon, 28 février 2013, n°12LY01689 ; CAA Douai, 27 septembre 2012, n° 11DA01877, CAA Lyon, 4 janvier 2012, n°10LY01901).

Le pétitionnaire qui conteste l’arrêté de refus n’a dès lors d’autre choix que de soulever l’illégalité de l’avis par la voie de l’exception.

Il ressort ainsi d’une jurisprudence clairement établie que « si, lorsque la délivrance d’une autorisation administrative est subordonnée à l’accord préalable d’une autre autorité, le refus d’un tel accord, qui s’impose à l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision » (CE 26 octobre 2001, M. et Mme Eisenchteter, req. n° 216471).

En l’espèce, un refus de permis avait été opposé à un opérateur souhaitant ériger 9 aérogénérateurs et un poste de livraison, suite à l’avis négatif du Ministre de la Défense qui avait retenu que les éoliennes étaient localisées dans la zone dangereuse d’un groupement interarmées d’hélicoptères (GIH) participant à la lutte antiterroriste.

La société requérante avait soulevé, par la voie de l’exception, l’illégalité de cet avis, mais surtout de l’arrêté ministériel portant création de la zone dangereuse dont le Ministre s’était prévalu (consultable ici).

Elle soutenait ainsi que ce texte avait été adopté à l’issue d’une procédure irrégulière, faute d’avoir fait l’objet d’un avis conforme du directoire de l’espace aérien, en méconnaissance des dispositions du décret encadrant la création des zones dangereuses.

La Cour, après avoir rappelé que cet arrêté constitue bien la base légale de l’avis du Ministre, fait droit au moyen, et annule le refus de permis contesté :

« Considérant qu’aux termes de l’article 3 du décret du 10 avril 1996 alors applicable :  » Après avis conforme du directoire de l’espace aérien, la création, la modification ou la suppression des espaces cités à l’article 2 ci-dessus fait l’objet d’un arrêté conjoint du ministre de la défense et du ministre chargé de l’aviation civile, publié au Journal officiel de la République française.  » ;

Considérant que la société Ferme éolienne de Maisons soutient que l’arrêté du 9 février 2009 n’a pas été pris après avis conforme du directoire de l’espace aérien ; que le ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité n’a pas répondu sur ce point ; que l’existence d’un avis conforme du directoire de l’espace aérien ne ressort par ailleurs ni de l’arrêté du 9 février 2009, qui ne vise pas un tel avis, ni des autres pièces du dossier ; que par suite, la requérante est fondée à soutenir que cet arrêté du 9 février 2009 a été adopté en méconnaissance des dispositions précitées de l’article 3 du décret du 10 avril 1996 et qu’il est par suite entaché d’illégalité ;

Considérant que l’illégalité de l’arrêté du 9 février 2009 entraîne l’illégalité de la décision du ministre de la défense du 3 février 2011 et, par voie de conséquence celle de l’arrêté du 6 février 2012 par lequel le préfet de la région Centre a refusé de délivrer à la société Ferme éolienne de Maisons le permis de construire qu’elle sollicitait ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la société Ferme éolienne de Maisons est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 15 octobre 2013, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande ; »

Cette décision n’est pas sans rappeler un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy, qui avait annulé un permis éolien après avoir constaté l’irrégularité de l’avis rendu par la ministre chargé de l’aviation civile, au motif que ledit avis avait été signé par un agent ne disposant d’aucune délégation pour ce faire (CAA Nancy, 18 avril 2013, n° 12NC00392). La Cour administrative d’appel de Nantes avait en revanche rejeté un moyen similaire dans un arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n°11NT02539).

En tout état de cause, le caractère récurrent du débat sur la compétence du signataire des avis de l’Armée ou des textes réglementaires fondant ses décisions incitera tant le Préfet que l’opérateur à la plus grande vigilance !