Contentieux du sursis à statuer : l’illégalité du PLU peut être invoquée

Par Maître Lou DELDIQUE, avocat associé, GREEN LAW AVOCATS, lou.deldique@green-law-avocat.fr

Par un arrêt en date du 22 juillet 2020 (consultable ici), le Conseil d’État a précisé que le requérant qui conteste la décision de sursis à statuer opposée à sa demande de permis de construire peut, par la voie de l’exception, invoquer l’illégalité du futur plan local d’urbanisme (PLU).

Rappelons en effet que le code de l’urbanisme permet l’autorité administrative de surseoir à statuer, et donc de suspendre sa décision, dans les hypothèses suivantes :

  • Quand l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique d’une opération est en cours (CU, art. L. 424-1) ;
  • Lorsque les constructions projetées sont susceptibles de compromettre ou de rendre plus onéreuses l’exécution de travaux publics ou la réalisation d’une opération d’aménagement  (CU, art. L. 424-1) ;
  • A compter de la création d’une ZAC (CU, art. L. 424-1 et L. 311-2) ;
  • À compter de la publication de la décision prescrivant l’élaboration d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur ou sa révision (CU, art. L. 313-2) ;
  • Lorsque le projet est situé dans un espace ayant vocation à figurer dans le cœur d’un parc national et aurait pour effet de modifier l’état des lieux ou l’aspect de l’espace en cause (C. envir., art. L. 331-6) ;
  • Lorsque la délibération prescrivant le PLU a été publiée et que les constructions projetées seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan (CU, art. L. 153-11).

En l’espèce, c’est la dernière hypothèse qui était concernée, puisqu’un sursis à statuer avait été opposé à des particuliers souhaitant construire une maison individuelle et un garage. En effet, le projet de PLU avait été arrêté quelques mois auparavant (ce qui signifie que sa procédure d’élaboration était déjà bien avancée), et le maire avait considéré que « l’opération projetée [était] de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse [son] exécution du plan local d’urbanisme », sans donner davantage de précision.

Le recours ayant été rejeté par le Tribunal administratif de Versailles, l’affaire avait été portée devant la Cour administrative d’appel de Versailles, qui elle avait jugé que :

  • la motivation de l’arrêté était insuffisante ;
  • et que si le projet de PLU prévoyait, au vu de la présence de mares, de créer une zone N dans le secteur du projet, ce dernier, « par son importance et sa localisation en continuité de l’urbanisation existante [ne remettrait] pas en cause la pérennité d’une mare ou de l’affluent du Lieutel, [et ne serait pas] de nature à compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme, qui a pour objet de protéger les mares et l’affluent du Lieutel, en ne classant au demeurant en zone N –  » zone humide  » – que le fossé relié à l’affluent du Lieutel et une seule des mares, située sur un terrain déjà construit jouxtant la parcelle d’assiette du projet » (CAA Versailles, 22 novembre 2018, n°17VE00223)

La cour avait donc apprécié la pertinence du zonage prévu par le PLU pour la parcelle litigieuse.

Le Conseil d’État confirme cette analyse.

Il rappelle tout d’abord la nécessaire motivation de la décision de sursis à statuer (Code de l’urbanisme, art. L. 424-3, al. 3 et R*. 424-5 partiels) :

 « En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’arrêté litigieux du 18 octobre 2013 se borne à viser le code de l’urbanisme dans son ensemble ainsi que la délibération du 23 mars 2009 prescrivant l’élaboration du plan local d’urbanisme et à mentionner dans ses motifs que  » l’opération projetée est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreux l’exécution du plan local d’urbanisme « . En jugeant que ces éléments n’étaient pas de nature à mettre la destinataire de la décision à même d’identifier le texte dont elle faisait application et que la circonstance que la délibération du 23 mars 2009 ainsi visée vise elle-même, parmi de nombreux autres articles, l’article L. 123-6 du code de l’urbanisme n’était pas de nature à y remédier, la cour qui, contrairement à ce que soutient la commune, n’a pas fondé son raisonnement sur la seule insuffisance des visas de la décision administrative dont elle était saisie, a porté sur les faits une appréciation souveraine exempte de dénaturation. En accueillant en conséquence le moyen tiré de l’insuffisance de la motivation en droit de cet arrêté, elle n’a pas commis d’erreur de droit.»

Puis il confirme la possibilité pour le juge d’examiner la légalité du PLU pour déterminer si le sursis à statuer était fondé :

«  En deuxième lieu, un sursis à statuer ne peut être opposé à une demande de permis de construire qu’en vertu d’orientations ou de règles que le futur plan local d’urbanisme pourrait légalement prévoir, et à la condition que la construction, l’installation ou l’opération envisagée soit de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse son exécution. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour n’aurait pu sans erreur de droit, pour apprécier la légalité de la décision de sursis à statuer opposée à Mlle B…, examiner la légalité du futur plan local d’urbanisme ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté. »

Le sursis ne peut donc être opposé que si les règles du futur PLU qui font obstacle au projet sont légales.

Cette solution est logique, puisqu’il est constant qu’un refus de permis fondé sur un document d’urbanisme illégal doit être annulé (CE, 30 déc. 2009, n° 319942 ; CE 15 déc. 2010, n° 331671), dès lors que le refus ou le retrait de permis constitue, contrairement à son octroi, un acte d’application du document d’urbanisme dans lequel il trouve son fondement (CE 17 oct. 1980, n°19451 ; CE 13 nov. 2002, n°185637).

De plus, le Conseil d’État avait déjà précisé en 2016 qu’une décision de sursis à statuer doit être assimilée à un refus d’autorisation (CE, 9 mars 2016, n°383060, voir notre analyse ici).

Mais quid des effets de la constatation de l’illégalité du document d’urbanisme par le juge ?

Cette hypothèse est régie par l’article L. 600-12 du code de l’urbanisme, qui prévoit alors la remise en vigueur du document d’urbanisme précédent (et à défaut, du RNU) :

« Sous réserve de l’application des articles L. 600-12-1 et L. 442-14, l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur. »

Il en résulte que l’autorité d’urbanisme dont le sursis à statuer a été annulé devra faire usage des règles du PLU précédent.