Construction sans autorisation : une nouvelle demande, non un PC modificatif

Par Maître Lou DELDIQUE, avocat associé, lou.deldique@green-law-avocat.fr

Dans une très récente décision (CE, 6 octobre 2021, n° 442182, consultable infra et sur Doctrine) le Conseil d’État précise qu’un permis délivré en méconnaissance de la jurisprudence Thalamy (CE, 9 juillet 1986, n° 51172) ne peut pas être régularisé en application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Rappelons que dans sa décision Thalamy, le Conseil d’État a dit pour droit que : « même si les documents et notamment le plan fourni à l’appui de la demande de permis, faisaient apparaître l’existence de cette terrasse, il appartenait au propriétaire de présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments de construction qui ont eu ou qui auront pour effet de transformer le bâtiment tel qu’il avait été autorisé par le permis primitif ; que le maire ne pouvait légalement accorder un permis portant uniquement sur un élément de construction nouveau prenant appui sur une partie du bâtiment construite sans autorisation ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, Mme Villar est fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ; » (CE 9 juill. 1986, Mme Thalamy, n° 51172, Lebon 201 ; AJDA 1986. 648, concl. M. Fornacciari)

Aussi, lorsque des travaux ont été réalisés sans autorisation, ils doivent être intégrés à toute nouvelle demande d’autorisation d’urbanisme portant sur la construction illégale.

Et le Conseil d’État a précisé que cette règle s’applique également « dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation » (CE, 13 décembre 2013, Mme Carn et a, n°349081).

En l’espèce, le permis de construire contesté ne prenait pas en compte les modifications apportées à la construction initiale (ajout d’un garage, transformations de la toiture et création d’ouvertures dans une façade) : il était donc manifestement illégal.

Se posait donc la question de savoir s’il pouvait être régularisé en mettant en œuvre les mécanisme d’annulation partielle ou de sursis à statuer prévus aux articles L. 600-5 et L. 600-5-1 (sur ces dispositions, voir notre analyse ici et ici).

La Haute Juridiction répond par la négative :

« […] lorsque l’autorité administrative, saisie dans les conditions mentionnées au point 2 d’une demande ne portant pas sur l’ensemble des éléments qui devaient lui être soumis, a illégalement accordé l’autorisation de construire qui lui était demandée au lieu de refuser de la délivrer et de se borner à inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble des éléments ayant modifié ou modifiant la construction par rapport à ce qui avait été initialement autorisé, cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ou d’une annulation partielle en application de l’article L. 600-5 du même code. »

En effet, c’est à l’autorité administrative saisie d’un dossier de demande de permis de construire n’intégrant pas les éléments illégaux de la construction d’inviter le pétitionnaire à compléter son dossier :

« Lorsqu’une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment. De même, lorsqu’une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation. Dans l’hypothèse où l’autorité administrative est saisie d’une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation. Cette invitation, qui a pour seul objet d’informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s’il entend poursuivre son projet, n’a pas à précéder le refus que l’administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés. »

Notons que cette invitation n’est pas assimilable à une demande de compléments du service instructeur, puisque le Conseil d’État indique qu’elle n’a pas à précéder la décision de refus.

La décision est intéressante car elle est en rupture avec celles qui avaient jusque-là été rendues au visa des articles L.600-5 et L.600-5-1 : depuis quelques années, les juridictions administratives ont ainsi tendance à considérer que tous les vices peuvent être régularisés (voir notre analyse sur cette question ici), et depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN, le juge est obligé de recourir à ces mécanismes de régularisation (CE, 2 octobre 2020, Avis n° 438318).

A la lecture des conclusions du rapporteur public Vincent Villette, on comprend que cette solution vise notamment à dissuader les pétitionnaires de déposer des dossiers de demande de permis volontairement « tronqués » :

« […] si vous deviez accepter la régularisation T… dans le prétoire, vous inciteriez les pétitionnaires indélicats à ne solliciter une autorisation que pour leurs nouveaux travaux, quitte pour eux à corriger le tir, sans véritable perte de temps, si finalement cette tentative subreptice devait se heurter à la vigilance du juge. Certes, il est vrai que le propre de la régularisation est d’éviter de déduire l’annulation du seul constat d’une illégalité, en affaiblissant donc la propension du pétitionnaire à choisir d’emblée, par peur de la sanction juridictionnelle, le chemin de la légalité. Toutefois, là où la configuration T… se distingue, c’est qu’en réalité, ici, l’illégalité de l’acte ne découle pas d’une véritable erreur de la part de l’administration, mais plutôt de ce qu’elle a été saisie – sans souvent s’en rendre compte – d’une demande occultant les travaux « clandestins » antérieurs. Pour le dire plus crûment, la dimension moralisante de la jurisprudence T… nous semble aussi justifier de l’exclure de l’approche correctrice – et très favorable au pétitionnaire – portée par l’article L. 600-5-1. »