site d extraction de pierreLe Conseil constitutionnel vient de reconnaître dans une décision n°2014-396 du 23 mai 2014 l’inconstitutionnalité de l’article L 214-17 du code de l’environnement, mais au regard des conséquences manifestement excessives que la remise en cause des arrêtés pris sur son fondement pourrait avoir, cette inconstitutionnalité n’est pas suivie d’effet.

Rappelons que l’article L 214-17 du code de l’environnement prévoit le classement par arrêté préfectoral des cours d’eau en ces termes :

« Après avis des conseils généraux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l’Assemblée de Corse, l’autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : « 1° Une liste de cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique. « Le renouvellement de la concession ou de l’autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d’atteindre le bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant ou d’assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; « 2° Une liste de cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l’exploitant » ;

La principale association représentative en matière d’hydro électricité avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, en estimant que ce texte méconnaissait le principe de participation, prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Il est en effet constant que les classements des cours d’eau, pris sur le fondement du L 214-17 restreignent de jure les possibilités d’utilisation des cours d’eau et notamment leur usage aux fins de production d’hydroélectricité.

  • Afin de pouvoir invoquer l’article 7, il convenait de d’abord déterminer si les décisions de classement pouvaient être qualifiées de « décisions ayant une incidence sur l’environnement ». A cet égard, le Conseil constitutionnel considère que la qualification est encourue dans la mesure où  :

« […] les dispositions contestées prévoient l’établissement de deux listes distinctes de cours d’eau, l’une pour les cours d’eau sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique et l’autre pour les cours d’eau sur lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs ; que l’inscription sur l’une ou l’autre de ces listes a pour conséquence d’imposer des obligations particulières qui tendent à préserver la continuité écologique sur des cours d’eau à valeur écologique reconnue ; que, par suite, ces décisions de classement constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement. »

  • Ensuite et surtout, les modalités de participation du public sont scrutées pour vérifier que le principe constitutionnalisé prévu à l’article 7 est respecté.

Or, aucune enquête publique n’est prévue, seule la consultation des comités de bassin était opérée avant la décision de classement. Le Conseil constitutionnel en déduit que la participation du comité de bassin ne satsifait pas à l’obligation de « participation du public » au sens de la Charte de l’environnement :

« Considérant que les dispositions contestées prévoient, pour l’établissement de ces listes, la consultation des comités de bassin ; que l’article L. 213-8 du code de l’environnement prévoit que les comités de bassin sont formés à 40 % d’un collège composé de représentants d’usagers de l’eau et des milieux aquatiques, des organisations socioprofessionnelles, des associations agréées de protection de l’environnement et de défense des consommateurs, des instances représentatives de la pêche et de personnes qualifiées ; que la participation d’un tel collège à l’établissement des listes de cours d’eau ne constitue pas un dispositif permettant la participation du public au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement ; »

  • Toutefois, les modalités de participation ont été modifiées par la loi du 27 décembre 2012, entrée en vigueur le 1er janvier 2013 et prévoit dorénavant la participation selon les moyens suivants :

–        mise à disposition du public par voie électronique du dossier et, sur demande présentée dans des conditions prévues par décret, mis en consultation sur support papier dans les préfectures et les sous-préfectures ;

–        dépôt des observations du public, par voie électronique ou postale, dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt-et-un jours à compter de la mise à disposition ; q

–        impossibilité d’adopter le projet de décision avant l’expiration d’un délai permettant la prise en considération des observations déposées par le public et la rédaction d’une synthèse de ces observations

Tout l’enjeu de la QPC était donc de faire reconnaître l’inconstitutionnalité de la base légale des décisions de classement prises avant le 1er janvier 2013.

Le Conseil constitutionnel considère cependant :

–        que la participation du public est depuis le 1er janvier 2013 assurée pour les décisions de classement des cours d’eau.

–        que certes, avant le 1er janvier 2013, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’assuraient la mise en œuvre du principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées sans fixer les conditions et limites du principe de la participation du public, le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence.

–        mais que cette inconstitutionnalité aurait des « conséquences manifestement excessives » conduisant à considérer que les décisions prises avant le 1er janvier 2013 sur le fondement des dispositions qui étaient contraires à la Constitution avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité :

« Considérant que, d’autre part, au 1er janvier 2013, les listes de cours d’eau avaient été arrêtées en application des dispositions contestées pour les bassins de Loire-Bretagne, de Seine-Normandie, d’Artois-Picardie et de Rhin-Meuse ; que la remise en cause des effets que ces dispositions ont produits avant le 1er janvier 2013 entraînerait des conséquences manifestement excessives ; que les décisions prises avant le 1er janvier 2013 sur le fondement des dispositions qui étaient contraires à la Constitution avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ; »

La décision est donc dépourvue d’effet utile, si ce n’est pour l’intérêt du droit.

Cependant, ce que le Conseil constitutionnel laisse évidemment en suspens est la légalité des décisions de classement, qui peuvent revêtir d’autres illégalités que celles tirées de la violation de la Charte de l’environnement.

Stéphanie Gandet

Green Law Avocat