Autorisation d’urbanisme obtenue par fraude : ne pas confondre les délais de recours et de retrait

 

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Par Maître Lou DELDIQUE, Avocat of counsel – GREEN LAW AVOCATS (lou.deldique@green-law-avocat.fr).

Par un arrêt en date du 26 avril 2018 (CE, 26 avril 2018, n°410019, consultable ici), le Conseil d’Etat rappelle que si le retrait d’une autorisation d’urbanisme obtenue par fraude peut être demandé à tout moment par les tiers, le refus de procéder audit retrait ne peut être contesté que dans le délai de recours contentieux.

Notons que la possibilité de retirer un permis obtenu par fraude à tout moment n’est pas évidente, car si l’article L.241-2 du code des relations entre le public et l’administration prévoit qu’« un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré », l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme (qui constitue une règle spéciale) ne prévoit pas expressément cette hypothèse :

« La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s’ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire. »

La jurisprudence a toutefois eu l’occasion de préciser que si l’autorisation a été obtenue sur la base d’informations mensongères produites dans le but de tromper les services instructeurs, le délai de trois mois ne s’applique pas (voir en ce sens : CE, 9 octobre 2017, n°398853).

Mais si le retrait peut être demandé à tout moment, qu’en est-il du refus de faire droit à cette demande ?

En l’espèce, des particuliers avaient en 2013 demandé au maire de Six-Fours-les-Plages de retirer une décision de non-opposition à déclaration préalable qui datait de 2009 et qu’ils considéraient comme obtenue par fraude.

Saisi d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel (qui avait jugé la requête recevable et avait annulé le refus de retrait), le Conseil d’État a dit pour droit que :

« […] si, ainsi que le prévoit désormais l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration, la circonstance qu’un acte administratif a été obtenu par fraude permet à l’autorité administrative compétente de l’abroger ou de le retirer à tout moment, sans qu’y fassent obstacle, s’agissant d’une décision de non-opposition à la déclaration préalable de travaux, les dispositions de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme alors applicables, selon lesquelles une telle décision ne peut faire l’objet d’aucun retrait, elle ne saurait, en revanche, proroger le délai du recours contentieux contre cette décision. Toutefois, un tiers justifiant d’un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l’annulation de la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l’a saisie d’une demande à cette fin.»

L’autorisation obtenue à l’issue de manœuvre frauduleuses du pétitionnaire peut donc être retirée à tout moment, et tout tiers intéressé peut saisir l’administration d’une décision en ce sens. La nouvelle décision qui naîtra suite à cette demande (et qui sera, selon les cas, un retrait ou un refus de retrait) ne pourra en revanche être contestée que dans le délai de recours contentieux classique.

Enfin, l’arrêt précise que dans cette hypothèse, le juge doit bien évidemment s’assurer de la réalité de la fraude avant de vérifier s’il est justifié (notamment au regard des différents intérêts en présence) de procéder au retrait de l’autorisation :

« Dans un tel cas, il incombe au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de vérifier la réalité de la fraude alléguée puis, en cas de fraude, de contrôler que l’appréciation de l’administration sur l’opportunité de procéder ou non à l’abrogation ou au retrait n’est pas entachée d’erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l’acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait. »

C’est dire que l’autorisation obtenue par fraude ne devra pas systématiquement disparaître. 

En l’espèce, le Conseil d’État estime que la fraude relevée par la Cour était avérée et que les requérants pouvaient donc demander le retrait de l’autorisation de construire près de 4 ans après sa délivrance. Leur requête ayant ensuite été introduite dans le délai de recours contentieux, la Cour pouvait tout à fait annuler le refus qui leur avait été opposé et enjoindre au Maire de procéder au retrait.

Cette décision , qui confirme en tous points la solution dégagée dans un arrêt du 5 février 2018 (CE, 5 février 2018, n° 407149, consultable ici), est intéressante car elle précise l’articulation entre les règles du code des relations entre le public et l’administration et le code de l’urbanisme.