planLa question posée le 1er octobre 2013 par Madame Marie-Jo Zimmerman à Madame la Ministre de l’égalité des territoires et de logement présente incontestablement un caractère épineux. En effet, elle a trait aux conséquences juridiques liées à la déconnexion entre les délais de recours, les délais de retrait et les délais d’instruction et de réinstruction des autorisations d’urbanisme. En la matière, la jurisprudence apparaît pour le moins incertaine. Bien qu’elle ait l’avantage de la simplicité, la réponse apportée par Madame la Ministre à la question posée suscite des interrogations légitimes [Rép. min., JO_25 février 2014, p. 1835: http://questions.assemblee-nationale.fr/pdf/q14/14-38850QE.pdf].

  • Une solution qui a le mérite d’être simple et pratique…

En substance, la problématique rappelée par le député de la Moselle est la suivante : à la suite d’un jugement ayant annulé une décision de refus de délivrance d’un permis de construire, une commune a procédé à une nouvelle instruction de la demande de permis et délivré l’autorisation sollicitée. Néanmoins, la commune, qui était en désaccord avec le jugement rendu par le Tribunal, a interjeté appel de cette décision dans un délai de deux mois. Alors que la Cour administrative d’appel donne finalement raison à la commune et confirme la décision de refus, quel sort convient-il de réserver au nouveau permis pris en exécution du jugement annulé s’il n’a pas fait l’objet d’un recours juridictionnel ?

Dans une réponse ministérielle publiée au Journal officiel du Sénat le 25 février 2014, la Ministre de l’égalité des territoires et du logement apporte une réponse simple et pratique. En effet, dans sa réponse, la Ministre indique que « dans ce cas si l’appel donne raison à [la commune], le refus s’avèrera finalement fondé. Le délai de retrait de trois mois sera alors expiré puisqu’il faut plus de trois mois pour obtenir une décision en appel. C’est pourquoi, dans ce cas extrêmement particulier, compte tenu de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt de la Cour administrative d’appel, juridiction de rang supérieur au tribunal, l’autorisation accordée en application de la décision de première instance peut être considérée comme non définitive et son retrait est alors possible suite à l’arrêt de la Cour administrative d’appel, et cela même au-delà du délai de trois mois prévu par les textes ». En d’autres termes, selon la réponse ministérielle, l’autorité compétente serait fondée, dans ce cas de figure très particulier, à procéder au retrait de l’autorisation de construire sans conditions de délai.

  • … mais dont le bien-fondé paraît discutable.

Aux termes de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, les permis de construire, d’aménager et de démolir (et, depuis la loi n° 2014-366 du 24 mars 214 dite ALUR, les décisions de non-opposition à déclaration préalable), tacites ou explicites, ne peuvent être retirés que s’ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, les autorisations de construire ne peuvent être retirées que sur demande de leur bénéficiaire.

Tout d’abord, il n’est pas certain que le respect dû à l’autorité de la chose jugée permette d’écarter systématiquement l’applicabilité de ces dispositions. En effet, la jurisprudence n’est, sur ce point, pas univoque et raisonne au cas par cas. A titre d’exemple, il ressort de la jurisprudence du Conseil d’Etat qu’en dépit de l’annulation de la délibération du jury d’un concours de recrutement, l’autorité compétente ne peut rapporter les décisions ultérieures nommant les candidats admis, dès lors que celles-ci sont devenues définitives et créent des droits pour leurs bénéficiaires (CE 10 octobre 1997, Lugan, rec. Lebon p. 346). Au demeurant, si la cause de l’illégalité a disparu entre la date de refus de délivrance de l’autorisation initiale et la date d’octroi de la nouvelle autorisation (à la suite d’une modification des règles d’urbanisme, par exemple), on ne voit pas ce qui justifierait la décision de retrait prise par l’administration…

Ensuite, on pourrait chercher à justifier la solution retenue dans la réponse ministérielle en cherchant à démontrer que l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme ne s’applique pas à la situation décrite dans la réponse ministérielle. A cet égard, selon un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille 20 octobre 2011, commune des Beaumettes, req. n° 09MA03493), l’arrêté accordant le permis peut être regardé comme étant une décision de retrait d’un refus de permis qui échappe, en conséquence, à l’applicabilité de l’article L. 424-4 du code de l’urbanisme. Force est néanmoins de rappeler qu’un jugement d’annulation s’est intercalé entre la décision de refus de délivrer le permis et l’arrêté accordant ce permis. Dans ces conditions, il est difficile de concevoir que l’arrêté délivrant le permis qui a été pris à la suite du jugement d’annulation puisse valoir décision de retrait d’une décision qui, consécutivement à ce jugement, devrait avoir disparu de l’ordonnancement juridique (cf., toutefois, CE 6 octobre 1976, Ministre de l’éducation nationale contre Gilquin, rec. Lebon p. 5007).

Enfin, il est pour le moins difficile d’adhérer aux justifications apportées au soutien de la réponse ministérielle. A l’appui de la solution proposée, la réponse ministérielle cite des ordonnances de référé suspension. Or, les décisions prises par le juge du référé administratif, auxquelles ne s’attache pas l’autorité de la chose jugée, ont un caractère provisoire (CE 14 novembre 1997, communauté urbaine de Lyon, req. n° 165540). Ainsi, même si elle peut avoir l’apparence d’une décision définitive, la décision administrative prise en exécution d’une ordonnance de référé n’a pas, par sa nature même, un caractère définitif (CE 13 juillet 2007, Sanary-sur-mer, req. n° 294721).

Au final, bien qu’elle présente l’avantage de la simplicité, la réponse apportée par la Ministre de l’égalité des territoires et de logement à cette question épineuse suscite des interrogations légitimes quant à son bien-fondé. Espérons que le code des relations entre l’administration et le public, que le gouvernement a été autorisé à rédiger aux termes de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, permettra de régler ce type de questionnement de manière simple et dans le respect de la sécurité juridique.  Compte tenu de l’incertitude qui semble prévaloir sur ce point, il est toutefois permis d’en douter. En effet, on rappellera que ce code devrait rassembler les règles générales relatives au régime des actes administratifs. Plus précisément, les règles codifiées sont celles qui seront en vigueur à la date de la publication de l’ordonnance ainsi que, le cas échéant, les règles déjà publiées mais non encore en vigueur à cette date.

Yann Borrel

Green Law Avocat