Autorisation d’Urbanisme: contrôle allégé sur l’identité du demandeur

Dans une importante décision (Conseil d’État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 15/02/2012, 333631, Publié au recueil Lebon), le Conseil d’Etat se prononce pour la première fois sur l’application d’une des règles entrées en vigueur le 1er octobre 2007 issues de l’ordonnance n°2005-1526 du 8 décembre 2005, en l’occurrence l’étendue du contrôle opéré par l’administration quant à la qualité de la personne déposant une demande d’autorisation d’urbanisme.

C’est là ce que les juristes appellent la « théorie du propriétaire apparent » et qui impliquait jusqu’à maintenant que l’administration contrôle le titre de propriété du pétitionnaire ou a tout le moins le titre l’habilitant à construire. Par exemple, pour des travaux affectant les parties communes d’un immeuble, l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires était requise par l’administration.

La réforme des autorisations d’urbanisme en 2007 avait alors posé la question du maintien de cette théorie dans la mesure où le Code prévoit dorénavant les personnes pouvant déposer un dossier de PC, de DP, de permis d’aménager ou de démolir. Ainsi, l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme fixe ces conditions :

« Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés :

a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ;

b) Soit, en cas d’indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ;

c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation pour cause d’utilité publique. »

Abandon par le Conseil d’Etat de la théorie du propriétaire apparent

L’arrêt du Conseil d’Etat vient apporter l’éclairage tant attendu en décidant de l’abandon de cette théorie: l’administration n’aura donc plus l’obligation de s’assurer du titre du pétionnaire, sous réserve des cas de fraude, dont un contrôle demeure requis, comme de la possibilité pour le juge judiciaire de prononcer toute mesure utile.

  • Un contrôle restreint de la qualité du pétitionnaire à solliciter une autorisation d’urbanisme

Le Conseil d’Etat vient préciser que dès lors que le pétitionnaire atteste remplir les conditions prévues à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, cela suffit à lui donner qualité à solliciter une autorisation d’urbanisme, sans qu’aucune pièce supplémentaire ne puisse être exigée :

« Considérant que, quand bien même le bien sur lequel portaient les travaux déclarés par M. C aurait fait partie d’une copropriété régie par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le maire était fondé à estimer que ce dernier avait qualité pour présenter une déclaration préalable de travaux, dès lors qu’il attestait remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer cette déclaration, sans exiger la production des autorisations auxquelles la loi subordonne le droit, pour chacun des copropriétaires, de réaliser certains travaux et, en particulier, sans vérifier si les travaux faisant l’objet de la déclaration affectaient des parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble et nécessitaient ainsi l’assentiment de l’assemblée générale des copropriétaires ; » (Conseil d’État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 15/02/2012, 333631, Publié au recueil Lebon)

La question posée était notamment de savoir si l’accord de l’assemblée générale des copropriétaires, requis par la loi du 10 juillet 1965 sur le statut de la copropriété, devait être produit pour justifier de la qualité de pétitionnaire. Le Conseil d’Etat répond par la négative et différencie, conformément au texte, le niveau d’exigence relatif à l’établissement de la qualité du pétitionnaire pour solliciter une autorisation d’urbanisme de celui relatif au droit du pétitionnaire de construire.

En présence d’un contrôle qui s’avère dorénavant plus restreint, la Haute juridiction maintient néanmoins la possibilité d’un contrôle de la fraude au stade de l’instruction de la demande d’autorisation.

  • Le maintien d’un contrôle de la fraude

Ce contrôle « limité » de la qualité de pétitionnaire ne doit empêcher ni l’administration ni le juge de censurer un cas de fraude si celui-ci se présente.

C’est ce que précise le Conseil d’Etat à l’issue de sa décision :
« Considérant, en second lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C, en attestant remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, ait procédé à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur et que la décision de non-opposition ait ainsi été obtenue par fraude ; que cette décision ayant été prise sous réserve des droits des tiers, elle ne dispense pas M. C d’obtenir une autorisation en application de la loi du 10 juillet 1965 si cette autorisation est requise pour effectuer les travaux mentionnés dans sa déclaration ; »

En cas de fraude avérée, l’administration, comme le juge sont invités à la sanctionner. Les exemples de fraude demeurent relativement rares en jurisprudence, même si on constate que les décisions en la matière sont plus fréquentes qu’auparavant. En matière d’urbanisme, a été ainsi été considéré comme obtenu par fraude un permis de construire délivré après que son bénéficiaire ait procédé à un abattage d’arbres dans le seul but d’éviter un obstacle résultant du POS (CE, 23 juillet 1993, M.X, p.224, DA 1993, n°536, Chapus DAG 14ème éd. p.995).

Certes, parfois les juges du fond écartaient jusqu’alors ce contrôle de la fraude (TA Nîmes, 21 mai 2010, « Mme M. », n°0803985), mais comme l’a rappelé le rapporteur public, il demeure un principe constitutionnel qu’il « est toujours loisible à l’administration, même en l’absence de texte l’y autorisant expressément, de rejeter une demande entachée de fraude à la loi » (CC, 22 avril 1997, n°97-389).

Se pose naturellement la question d’un permis obtenu malgré une manoeuvre frauduleuse qui ne serait apparue qu’ultérieurement… le délai de recours est expiré, mais pour autant, le Conseil d’Etat juge qu’un permis obtenu frauduleusement n’a pas acquis de caractère définitif et n’a pas eu pour effet de créer des droits au profit de son bénéficiaire. Par conséquent, il peut être retiré à tout moment (CE, 10 octobre 1990, « Epoux A. », n°86379).

Au-delà du contrôle de la fraude, une autre limite vient relativiser l’abandon par le Conseil d’Etat de la théorie du propriétaire apparent .

  • Le droit de construire peut encore être sanctionné par le juge judiciaire

Si la décision de la Haute juridiction va assurément dans le sens d’un allégement des procédures administratives, il faut se garder d’y voir là une quelconque décharge de responsabilité du demander de l’autorisation. En effet, le Conseil d’Etat rappelle que les autorisations d’urbanisme sont délivrées sous réserve des droits des tiers.

Et cela reste un rappel d’une règle traditionnelle: ainsi, le resserrement du contrôle de la qualité du pétitionnaire ne dispense pas celui-ci d’obtenir d’autres autorisations éventuellement requises au titre d’autres législations… celles-ci conditionnant véritablement le droit de construire. A charge donc pour le pétitionnaire de s’assurer qu’il dispose de toutes les autorisations requises lui conférant le droit de construire (accord de l’assemblée générale des copropriétaires le cas échéant, accord du voisin en cas de mur mitoyen…) .

Sinon, gare au juge civil !

Stéphanie Gandet

Anaïs De Bouteiller

Green Law Avocat