Application négative de la jurisprudence Danthony à un permis de construire une centrale solaire au sol (CAA Marseille, 18 mars 2016 n°14MA03823)

Solarpark in Europa auf einem BergPar Stéphanie Gandet – avocat associé

et Manon Delattre – juriste

Dans une décision du 18 mars 2016, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé un permis de construire portant sur une centrale photovoltaïque au sol au motif d’une insuffisance d’étude d’impact et de vice procédure tiré du défaut de consultation de la Direction Régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (ci-après « DREAL » en qualité d’autorité environnementale) après qu’un complément à l’étude d’impact ait été réalisé.

La juridiction administrative a considéré au cas d’espèce que cela constitue des vices de procédure substantiels entrainant l’annulation du jugement du tribunal administratif et du permis de construire litigieux.

C’est la décision commentée.

La Cour administrative d’appel de Marseille fait ici une application de la jurisprudence Danthony (I) en estimant que l’étude d’impact était insuffisante et avait nui à l’information du public d’une part (II), et en relevant que le fait que le complément à l’étude d’impact qui avait été produit n’avait pas donné lieu à un nouvel avis de l’autorité environnementale (III).

I.            Rappel du principe dégagé par la jurisprudence Danthony

Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision Danthony, a dégagé le principe selon lequel : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (CE, Ass, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n°335033).

Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.

Ce principe avait déjà été dégagé dans un arrêt du Conseil d’Etat Ocréal du 14 octobre 2011 concernant les vices pouvant entacher une étude d’impact : « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (CE, 14 octobre 2011, n°323257).

Le juge administratif considère que la suffisance de l’étude doit s’apprécier en fonction de la double vocation instructive (pour l’administration) et informative (pour le public) du document que constitue l’étude d’impact.

Cette jurisprudence a permis à de nombreuses procédures de ne pas être annulées à cause d’un vice en considérant que ses conséquences pouvaient être relativisées. En effet, il faut rappeler que la jurisprudence Danthony a été rendue dans un contexte de distinction entre les vices de procédure substantiels ou non. Avant l’arrêt Danthony, le Conseil d’Etat avait engagé la distinction entre irrégularité substantielle et non substantielle dans un arrêt du 16 mai 2008 (CE, 16 mai 2008, commune de Cambon d’Albi, n°289316).

Ainsi, l’insuffisance d’une étude d’impact n’est pas nécessairement un motif d’illégalité de la décision litigieuse si elle repose sur un vice de procédure non substantiel. En revanche, les irrégularités jugées substantielles, car méconnaissant le principe d’information, entrainent l’annulation de la décision litigieuse.

II.          Sur l’application du principe dégagé par l’arrêt Danthony

La Cour administrative d’appel de Marseille applique la jurisprudence Danthony à l’occasion d’un litige contre un permis de construire portant sur une centrale photovoltaïque au sol.

Mais on peut se rappeler que la même Cour avait récemment appliqué en droit des installations classées le principe dégagé par l’arrêt Danthony. Ainsi, dans sa décision du 19 mai 2015, la Cour administrative de Marseille s’était fondée sur la jurisprudence Danthony pour annuler un jugement et une autorisation d’exploiter une carrière au motif que le vice de procédure était substantiel au regard :

  • d’une part de l’existence d’un avis défavorable de l’autorité administrative compétente,
  • et, d’autre part, au regard de la population la plus concernée par le projet (en l’espèce des exploitants viticoles).

La Cour en avait déduit que le vice de procédure a nui à l’information complète du public (CAA Marseille, 19 mai 2015, n°13MA03284, commenté par nos soins ici)

En l’espèce, le 6 avril 2012, le préfet de l’Aude a délivré à une commune un permis de construire portant sur la création d’une centrale de production photovoltaïque au sol d’une puissance de quatre mégawatts-crête. Le projet se situe au sein de la zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1 « plateau de Montbrun et Conhilac ».

Une société par actions simplifiée (SAS), qui possède des parcelles au voisinage immédiat de ce projet, avait saisi le tribunal administratif de Montpellier afin d’annuler ce permis de construire. Par un jugement du 30 juin 2014, le tribunal avait néanmoins rejeté sa demande.

La société requérante a alors relevé appel de ce jugement aux motifs que l’étude d’impact comporte une analyse insuffisante de l’état initial du site et de son environnement, ce qui avait selon elle vicié la procédure car cela avait a nui à l’information de la population. Elle en déduisait que cela avait eu une influence sur la décision du Préfet.

Le 18 mars 2016, la Cour Administrative d’appel de Marseille lui donne raison : elle censure le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 30 juin 2014 et annule le permis de construire délivré.

Analysons les deux motifs retenus :

  • Sur l’insuffisance de l’étude d’impact de la centrale photovoltaïque au sol

Prévue à l’article L. 122-1 du code de l’environnement, l’étude d’impact est un document essentiel au dossier de demande de permis de construire et consiste en une évaluation des conséquences directes et indirectes du fonctionnement normal d’une installation sur l’environnement à la fois sur le court, le moyen et le long terme afin de supprimer, réduire, ou compenser les impacts de cette installation (en l’espèce une centrale photovoltaïque au sol). Elle permet d’assurer l’information du public sur les effets sanitaires et environnementaux de l’installation, notamment lors de l’enquête publique.

L’étude d’impact est obligatoire pour les « travaux d’installation d’ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie solaire installés sur le sol dont la puissance crête est supérieure à deux cent cinquante kilowatts », et ce quel que soit le coût de leur réalisation.

Il faut préciser que depuis le décret du 15 août 2016, la nomenclature située en annexe de l’article R. 122-2 du code de l’environnement qui précise à quels travaux la procédure de l’étude d’impact est applicable a été réformée.

La nomenclature différencie désormais les projets soumis systématiquement à évaluation environnementale et les projets soumis à examen au cas par cas. Ainsi, concernant les ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie solaire, la rubrique 30 de la nomenclature précise que les installations au sol d’une puissance égale ou supérieure à 250 kWc sont soumises de manière systématique à évaluation environnementale alors que les installations sur serres et ombrières d’une puissance égale ou supérieure à 250 kWc sont soumises à examen au cas par cas, selon différents critères de surface.

En l’espèce, dans un premier temps, la Cour a estimé que l’état initial de l’étude d’impact était entaché d’insuffisance, ce qui doit entrainer l’illégalité du permis de construire.

En effet, elle a considéré que le manque d’information concernant les effets du projet sur une espèce faunistique protégée (lézard) dans la zone constituait un vice de procédure ayant nui à l’information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative.

Après avoir relevé qu’en l’espèce, l’étude d’impact en litige avait été effectuée à partir de données recueillies en 1998 à l’occasion d’un projet éolien voisin, et que ces données ont été simplement actualisées par une expertise écologique réalisée en septembre 2010 par le centre permanent d’initiatives pour l’environnement, la Cour a constaté que la DREAL avait émis un avis défavorable le 13 juillet 2011 concernant le projet situé dans une ZNIEFF où sont présentes des espèces animales déterminantes et remarquables.

D’après la Cour, l’étude d’impact présente dès lors des lacunes du fait de prospections très limitées (deux fois dans un laps de temps très court).

Ainsi, cette « insuffisance de l’étude d’impact a été de nature à nuire à l’information complète de la population et à exercer, en outre, une influence sur la décision du Préfet de l’Aude. »

Cela démontre que l’étude d’impact doit porter sur des prospections et des données bibliographiques à jour. Il n’est pas prohibé de recourir à d’anciennes données, mais l’actualisation des informations demeure indispensable, dans un souci de sérieux et d’exhaustivité de l’état initial.

  • Sur l’irrégularité de la consultation de la DREAL

Dans un second temps, la Cour a retenu une irrégularité tirée de l’absence de consultation de la DREAL (en qualité d’autorité environnementale à l’époque).

En effet, elle a considéré que le complément d’étude d’impact n’avait pas donné lieu à un nouvel avis de l’autorité environnementale :

« Considérant que la DREAL, autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement, a estimé dans son avis émis le 13 juillet 2011, ainsi qu’il a été dit au point 6, que l’étude d’impact comportait des lacunes ; que suite à cet avis, la commune d’E… a établi un complément à l’étude d’impact ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ce complément, partie intégrante de l’étude d’impact, ait été transmis par le préfet à la DREAL pour avis ; que la procédure prévue aux dispositions précitées du code de l’environnement a ainsi été méconnue ;

Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, préalablement à l’enquête publique, le commissaire enquêteur a transmis pour avis à la DREAL l’additif à l’étude d’impact réalisé par le maître d’ouvrage en juillet 2011; que, toutefois, la DREAL a estimé qu’il ne lui appartenait pas d’émettre un nouvel avis sur un projet d’ores et déjà soumis à enquête publique ; qu’ainsi qu’il a été dit au point 6, cet additif n’a pas permis de combler les lacunes de l’étude d’impact relevées par l’autorité autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement ; que, dans les circonstances de l’espèce, le vice affectant les conditions dans lesquelles a été consultée la DREAL a nui à l’information complète du public et a eu, en outre, une influence sur le sens de la décision du préfet de l’Aude ; que la requérante est fondée, également pour ce motif, à soutenir que le permis de construire en litige est entaché d’illégalité ; »

La Cour fait ici une application stricte de l’article L. 122-1 du code de l’environnement qui, dans sa rédaction applicable au permis de construire en litige, prévoyait : « Les études préalables à la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages qui, par l’importance de leurs dimensions ou leurs incidences sur le milieu naturel, peuvent porter atteinte à ce dernier, doivent comporter une étude d’impact permettant d’en apprécier les conséquences. Cette étude d’impact est transmise pour avis à l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement par l’autorité chargée d’autoriser ou d’approuver ces aménagements ou ces ouvrages. »

En l’espèce, la commune qui portait le projet avait tenté de corriger les lacunes que comportait l’étude d’impact en réalisant un additif en juillet 2011. Outre le fait que cet additif ne comblait pas les lacunes de l’étude d’impact, la Cour soutient « qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ce complément, partie intégrante de l’étude d’impact, ait été transmis par le Préfet à la DREAL pour avis ».

Pourtant, il se trouve que, dans cette affaire, le complément à l’étude d’impact avait été transmis pour avis mais de manière tardive et l’avait été à l’initiative du commissaire enquêteur, dont ce n’est pas le rôle. De plus, l’autorité environnementale a estimé qu’il ne lui appartenait pas d’émettre un nouvel avis sur un projet « d’ores-et-déjà soumis à l’enquête publique ».

Cette formulation alambiquée ne permet pas de déterminer si le vice provient du fait que la DREAL (autorité environnementale à l’époque) ne s’est pas prononcée par un nouvel avis versé au dossier d’enquête publique, ou s’il provient du fait que la DREAL a refusé de se prononcer malgré une transmission du complément d’étude d’impact.

La Cour annule en tout état de cause le jugement attaqué et l’arrêté du préfet de l’Aude du 6 avril 2012.

Cette décision est intéressante car elle montre que le juge fait une appréciation in concreto pour savoir si le vice a pu avoir pour effet de nuire à l’information de la population concernée par l’opération ou s’il a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative.

  • On ne saurait donc que recommander de bien vérifier les dates des données recueillies dans l’étude d’impact et opérer les actualisations nécessaires afin de rendre l’état initial fiable, proportionné aux enjeux et sérieux.
  • Il faut également être prudent à bien joindre toute l’étude d’impact (y compris le complément à cette étude le cas échéant) au dossier d’enquête publique.

Dans l’hypothèse où l’enquête publique serait déjà engagée, l’article L123-14 dans sa version en vigueur précise qu’il est possibilité de suspendre l’enquête ou réaliser une enquête complémentaire afin d’y intégrer les modifications apportées au projet (le complément à l’étude d’impact en l’espèce). Pendant le délai de suspension, ou avant ouverture de l’enquête complémentaire, il faut transmettre le nouveau projet pour avis à la DREAL. C’est une option procédurale souvent délaissée ou méconnue qui présente pourtant un intérêt certain afin d’éviter un risque contentieux