Antenne 5G : vers la guérilla contentieuse et la guerre des polices

Par Maître David DEHARBE (GREEN LAW AVOCATS)

Le conseil municipal de la ville de Lille a voté par une délibération (téléchargeable ici) adoptée le 9 octobre 2020 un moratoire sur la question de l’implantation d’antennes 5G sur le territoire de la commune Lilloise.

C’est l’occasion de faire un point sur les possibilités contentieuses pour les particuliers et les élus locaux de s’opposer au déploiement annoncé de la 5 G.

On constate d’abord que le principe dit d’exclusivité semble condamner les initiatives locales d’interdictions générales d’implantation de la 5G (I). Néanmoins la guérilla urbanistique offre des perspectives prometteuses (II).

I/ Le principe d’exclusivité protège la 5G

Cette délibération prévoit que « la ville de Lille sursoie sur son territoire à toute autorisation d’implantation ou d’allumage d’antennes « test » liées à la technologie 5G. Ce moratoire prendra effet au moins jusqu’à la publication du rapport attendu de l’ANSES en 2021 ».

Mais le déploiement de la 5G déborde la seule compétence des autorités municipales locales pour en droit exclure catégoriquement la police générale du maire.

En effet, il existe une police spéciale en matière d’installation d’antennes relai, la police spéciale des télécommunications qui selon le Conseil d’Etat fait obstacle de par sa définition à toute immixtion du maire.

Plus précisément, le Conseil d’Etat a jugé que « si les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l’Etat, adopter sur le territoire de la commune une réglementation portant sur l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes(CE, ass., 26 oct. 2011, n° 326492, Commune de Saint- Denis , Lebon ; n° 329904, Commune des Pennes- Mirabeau , Lebon ; n° 341767, SFR , Lebon ; AJDA 2011. 2219, chron. J.- H. Stahl et X. Domino ; RDI 2012. 153, obs. A. Van Lang ; AJCT 2012. 37, obs M. Moliner- Dubost ; RD publ. 2012. 1245, étude H. Hoepffner et L. Janicot ; RJEP 2012. 17, concl. X. de Lesquen).

En matière de téléphonie mobile le Conseil d’Etat fait une application stricte de la règle dite « de l’exclusivité » (CE 20 juill. 1935, Entreprise Satan, Lebon 847 – à propos des OGM : CE 24 sept. 2012, n° 342990, Commune de Valence, Lebon ; AJDA 2012. 2122, note E. Untermaier – à propos des compteurs électriques communicants Linky : CE 28 juin 2019, n° 425975, Commune de Bovel , Lebon T. ; AJDA 2019. 1376 ; CE 11 juill. 2019, n° 426060, Commune de Cast , Lebon T. ; AJDA 2019. 1479 ; AJCT 2019. 579, obs. O. Didriche ; Dr. adm. 2019, n° 54, G. Eveillard).

Comme le remarquent HÉLÈNE HOEPFFNER ET LAETITIA JANICOT (AJDA 22 juin 2020, n° 22/2020, p. 1215)  « le péril imminent ou encore une « situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent » justifient que l’autorité de police générale intervienne dans le champ des polices spéciales des installations classées (CE 29 sept. 2003, Houillères du Bassin de Lorraine, n° 218217), de l’eau (CE 2 déc. 2009, Commune de Rachecourt- sur- Marne, n°309684), ou des immeubles menaçant ruine (CE 10 oct. 2005, Commune de Badinière, n° 259205) mais ne justifient « en aucun cas » ou « en tout état de cause » que le maire puisse empiéter sur la police spéciale des OGM (CE 24 sept. 2012, Commune de Valence, préc.) ou des antennes relais (CE 26 déc. 2012, n° 352117, Commune de Saint- Pierre d’Irube, Lebon ; AJDA 2013. 1292, note A. Van Lang) ».

Le moratoire lillois sur la 5G semble donc contredire la jurisprudence établie sous la 4G et on verra comment le Conseil d’Etat maintiendra sa jurisprudence. Tout porte à croire que la  Haute juridiction maintiendra le principe de l’exclusivité.

La 5G est encadrée par la police spéciale des télécommunications.

En effet le code des postes et des communications électroniques organise une police spéciale des communications électroniques confiée à l’État, au ministre chargé des communications électroniques et à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) pour autoriser l’installation et l’exploitation des réseaux de télécommunications ouverts au public. Cette police administrative spéciale a notamment l’obligation de s’assurer que les équipements en cause ne sont pas de nature à menacer la santé ou la sécurité publiques (Article L.32-1 du code des postes et des communications électroniques).

C’est pourquoi parallèlement aux autorisations requises au titre du code de l’urbanisme,  lorsqu’un opérateur souhaite mettre en service une antenne, il doit déposer un dossier auprès de l’ANFR (Agence Nationale des Fréquences), qui doit donner son accord préalable, (article L. 43 du code des postes et des communications électroniques).

Toutefois, cet accord n’est pas requis pour les décisions d’implantation, de transfert ou de modification des stations ou installations radioélectriques dont la puissance isotrope rayonnée équivalente (PIRE), dans toute direction d’élévation inférieure à 5 degrés par rapport à l’horizontal, est inférieure à 5 watts (art. R. 20-44-11 du même code). L’ANFR doit alors simplement être tenue informée dans un délai de deux mois.

Les antennes 5 G si elles émettent des puissances supérieures devront donc faire l’objet d’une nouvelle demande auprès de l’ANFR. 

Par ailleurs l’article L. 34-9-1 du Code des postes et des communications électroniques impose à toute personne qui exploite ou qui souhaite exploiter une telle installation d’informer par écrit le maire ou le président de l’intercommunalité à sa demande lorsque l’installation est déjà en service ou dès la phase de recherche et de lui transmettre un dossier d’information un mois avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme ou de la déclaration préalable.

Le contenu et les modalités de transmission du dossier d’information sont définis par l’arrêté du 12 octobre 2016.

Mais de surcroît la LOI n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles est venue imposer un nouveau régime d’autorisation préalable à l’exploitation des équipements 5G.

Cette loi a pour objectif de renforcer la sécurité de ces futurs réseaux, notamment au regard de la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications.

Au terme de cette loi, préalablement à toute activité d’exploitation, les opérateurs devront adresser une demande d’autorisation au Premier ministre, qui se prononcera dans les deux mois.

Il pourra refuser l’autorisation « s’il estime qu’il existe un risque sérieux pour la permanence, l’intégrité, la sécurité, la disponibilité du réseau, ou pour la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications ».

La liste des appareils dont l’exploitation est soumise à autorisation est fixée par arrêté du Premier ministre. Cette liste énumère les différents appareils concernés en référence à la terminologie utilisée dans les standards internationaux associés aux réseaux radioélectriques mobiles de cinquième génération et des générations ultérieures. (Article L34-11 Code des postes et des communications électroniques).

L’autorisation est octroyée pour une durée maximale de huit ans.

Les modalités d’octroi de l’autorisation, les conditions dont elle peut être assortie ainsi que la composition du dossier de demande d’autorisation et du dossier de demande de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d’Etat.

Si l’exploitation est réalisée sans autorisation préalable ou sans respecter les conditions fixées par l’autorisation, le Premier ministre peut enjoindre à l’opérateur de déposer une demande d’autorisation ou de renouvellement ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure, dans un délai qu’il fixe.

Par conséquent, tout engagement, convention ou clause contractuelle prévoyant l’exploitation d’installations d’antenne-relai 5G est nulle si cette installation n’a pas fait l’objet de l’autorisation préalable exigée.

Cet encadrement par des polices spéciales de la 5G semble condamner à la censure juridictionnelle toute tentative d’imposer un moratoire sur le territoire local au moyen de la police générale.

II/ Vers une guérilla urbanistique !

Demeure néanmoins un autre terrain pour s’opposer aux antennes 5G : le droit de l’urbanisme.

Trois pistes seront très certainement empruntées dans les semaines et les mois à venir.  

D’abord, on peut considérer qu’un PLU ou un PLUi hostile à l’implantation d’antennes pour des raisons purement urbanistiques pourrait fonder une réglementation ne souffrant pas des pylônes de téléphonie mobile dans un zonage pertinent.

Ensuite l’implantation de toute nouvelle antenne est soumise à  déclaration préalable sans condition de hauteur, voire à permis de construire.

En effet,  l’article R. 421-9 du code de l’urbanisme soumet au régime de la déclaration préalable les projets d’installation d’antennes-relais de radiotéléphonie mobile implantés en dehors des secteurs protégés (abords des monuments historiques, sites patrimoniaux remarquables et sites classés ou en instance de classement), ainsi que les locaux ou installations techniques nécessaires à leur fonctionnement, dès lors que ceux-ci présentent une surface de plancher et d’emprise au sol supérieures à 5 m2 et inférieures ou égales à 20 m2.

Soulignons que depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2018-1123 du 10 décembre 2018, l’application de ce régime n’est soumise à aucun critère de hauteur de l’antenne.

Or la DP ou le PC peuvent être attaqués non seulement pour des motifs d’urbanisme (considérations paysagères et monuments historiques) mais aussi en relançant le débat sur le terrain du R111-2 des risques sanitaires singuliers constitués par la nouvelle technologie 5G.

En effet, le juge administratif va devoir réévaluer sa position en termes de risques sanitaires, qui avait été fixée à propos de l’ancienne technologie 4G. L’on sait d’ailleurs qu’à propos de l’ancienne technologie, l’invocation du principe de précaution constitutionnalisé pour refuser une DP était devenue vaine, le Conseil d’Etat considérant le risque sanitaire comme purement hypothétique en l’état des études et avis scientifiques disponibles. Mais qu’en sera-t-il pour la 5G ?

Comme le fait remarquer le moratoire lillois « les rapports officiels publiés ces derniers mois sur l’impact sanitaire de la 5G ne permettent toujours pas aux instances les plus compétentes d’exclure tout risque réel sur les populations en lien avec l’exposition à cette nouvelle technologie ».

Ainsi l’ANSES ne se prononcera pas définitivement avant 2021 et dans son rapport intermédiaire d’octobre 2019 en était encore à se demander : « Compte  tenu  des  spécificités  des  signaux  de  la  5G, peut-on  anticiper  l’exposition des populations et son impact sanitaire? ».

Mais le déploiement de la 5G impliquera encore la mise en place des antennes sur des poteaux existants car ce réseau a besoin de plus d’antennes que l’ancienne génération. Sur le terrain du contentieux de l’urbanisme cela nous laisse entrevoir deux hypothèses.

D’abord on peut se demander si les opérateurs ne sont pas tentés de multiplier les demandes actuelles pour de nouvelles antennes 4G inutiles en termes de couverture qui de facto vont très vite accueillir de la 5G ? Si la démonstration de cette stratégie peut-être faite, il serait légitime d’apprécier les DP au regard de leur réel objet en engageant aussi le débat sur le terrain du risque sanitaire que constitue la 5G au moyen de l’article R111-2 du code de l’urbanisme.

Ensuite se pose la question de savoir si une autorisation urbanistique est requise pour pouvoir implanter une antenne 5G sur un pylône existant régulièrement installé au titre de la 4ème génération ou au titre des précédentes.

Concernant les travaux exécutés sur des antennes existantes, certains juristes considèrent que le simple fait de mettre en place une antenne 5G sur un pylône de téléphonie existante serait dispensé de toute formalité au titre de l’urbanisme.

Ceci nous semble discutable : En effet aux termes de l’article R421-17CU « Doivent être précédés d’une déclaration préalable lorsqu’ils ne sont pas soumis à permis de construire en application des articles R*421-14 à *R. 421-16 les travaux exécutés sur des constructions existantes, à l’exception des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires, et les changements de destination des constructions existantes suivants : a) Les travaux ayant pour effet de modifier l’aspect extérieur d’un bâtiment existant, à l’exception des travaux de ravalement ».