Urbanisme : l’illégalité d’un PLU peut coûter cher ! (TA Lille, 11 juillet 2016, n°1403060)

urba-constructionPar Lou DELDIQUE – GREEN LAW AVOCATS

Un récent jugement du tribunal administratif de Lille (TA Lille, 11 juillet 2016, n°1403060, consultable ici : ) rappelle que lorsqu’une commune adopte un document d’urbanisme illégal, elle ne risque pas seulement l’annulation du document : elle engage également sa responsabilité, et peut, à ce titre, être condamnée à indemniser toute personne à qui l’illégalité aurait causé un préjudice.

En l’espèce, des particuliers avaient, sur la base d’un certificat d’urbanisme indiquant qu’une parcelle était partiellement constructible et qu’elle pouvait accueillir des habitations, acheté ladite parcelle et déposé une demande de permis d’aménager pour la création d’un lotissement.

Mais le PLU qui avait fondé la délivrance du certificat d’urbanisme ayant entretemps été annulé, l’administration n’avait eu d’autre choix que de refuser cette autorisation, au motif que les dispositions du plan d’occupation des sols (POS) remis en vigueur en application de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme (actuel article L. 600-12) ne permettaient pas l’implantation de bâtiments à usage d’habitation.

Les propriétaires de la parcelle (re)devenue inconstructible ont alors engagé la responsabilité de la commune devant le Tribunal administratif, en faisant notamment valoir qu’ils n’auraient jamais acheté le terrain si celui-ci n’avait pas été classé en zone constructible.

S’agissant d’une action fondée sur le régime de la responsabilité pour faute, trois éléments devaient être démontrés par les requérants :

  • l’existence d’une faute,
  • un dommage personnel, direct, et certain,
  • et un lien de causalité entre la faute et les préjudices allégués.

  • La faute

De manière tout à fait classique, le Tribunal administratif considère qu’en adoptant un document d’urbanisme illégal, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité (CE, 26 janvier 1973, n° 84768, Driancourt ; voir aussi pour des décisions spécifiquement rendues en matière de PLU : CE, 8 avr. 2015, n° 367167 ; CAA Lyon, 21 mai 1991, n° 90LY00330).

A cet égard, il est intéressant de noter que le jugement ne retient pas les causes exonératoires de responsabilité soulevées par la commune, qui soutenait que les requérants avaient fait preuve d’imprudence en acquérant leur bien alors que le PLU, qui faisait l’objet d’un recours contentieux, n’était pas définitif :

 « Considérant, d’autre part, que la commune de T. soutient également que, tant les parties à la vente de la parcelle litigieuse, que le notaire ayant procédé à la rédaction de l’acte authentique d’achat du 23 avril 2010, ont commis une faute de nature à l’exonérer entièrement de sa responsabilité, en ne s’assurant pas de ce que la délibération approuvant le plan local d’urbanisme était devenue définitive au jour de la vente ;

que, toutefois, il résulte de l’instruction que, préalablement à la conclusion de cette vente, le plan local d’urbanisme, approuvé le 30 octobre 2008, classait pour partie en zone constructible la parcelle litigieuse, et qu’un certificat d’urbanisme délivré le 5 janvier 2010 indiquait que ladite parcelle pouvait être utilisée pour la construction d’une habitation ; que l’ensemble du contenu de ce certificat, qui reprend les dispositions du plan local d’urbanisme applicables à la parcelle, a été reproduit par l’acte de vente du 23 avril 2010 ; que les parties à cette vente, qui n’ont pas la qualité de professionnels de l’immobilier, n’ont commis aucune imprudence en s’engageant au regard de ces documents qui pouvaient, à eux seuls, leur donner une assurance suffisante quant au caractère constructible du terrain objet de la vente ; que le notaire chargé de la rédaction de cette vente, dont les stipulations précisent que l’acquéreur du terrain a l’intention d’y construire un immeuble à usage d’habitation, a suffisamment satisfait, en exécution de son devoir de conseil, à son obligation d’assurer l’efficacité de cet acte eu égard au but poursuivi par les parties, ainsi qu’à son obligation de les renseigner sur les risques de l’opération projetée, en les informant de la possibilité de construire sur le terrain litigieux au regard du seul document d’urbanisme alors en vigueur, et de la nécessité pour l’acquéreur de se voir délivrer un permis de construire préalablement à la réalisation de toute construction ; qu’ainsi, aucune faute ni aucune imprudence ne peuvent, en raison tant des conditions dans lesquelles la vente a été conclue, que de la qualité de non-professionnel des parties à cette vente et de l’étendue de l’obligation d’information mise à la charge du notaire, leurs être imputées ; »

Notons que ce raisonnement mérite d’être salué, car le juge administratif a souvent tendance à retenir l’imprudence ou la faute du demandeur en matière de responsabilité du fait des décisions d’urbanisme (CE, 14 nov. 2014, n° 366614 ; CE, 2 oct. 2002, n° 232720 ; CE, 25 avr. 2003, n° 237888 ; CE, 16 nov. 1998, n° 175142 ; CE, 1er oct. 1993, n° 84593 ; CAA Lyon, 9 juill. 2013, n° 12LY02382 ; CAA Bordeaux, 26 avr. 2011, n° 10BX01153 ; CAA Lyon, 26 nov. 2009, n° 07LY01503 ; CAA Paris, 27 avr. 1999, n° 96PA00435 ; TA Versailles, 3e ch., 6 nov. 1997, n° 913211 ).

 

  • S’agissant du lien de causalité

La commune faisait valoir que celui-ci n’était pas établi, puisqu’un nouveau PLU rétablissant le caractère constructible de la parcelle était sur le point d’être adopté. Sur ce point, le Tribunal a toutefois constaté que l’adoption imminente d’un nouveau document d’urbanisme n’était pas démontrée, et que cette circonstance n’était, en tout état de cause, pas de nature à remettre en question le lien existant entre l’entrée en vigueur du plan en 2008 et l’achat du terrain en 2010 :

« […]qu’ainsi, il n’est pas établi que, à la date à laquelle il est statué sur la demande présentée par M. X. et Mme Y., un plan local d’urbanisme classant à nouveau partiellement en zone constructible leur terrain doit être, de façon certaine, adopté à brève échéance ; que, par ailleurs, il résulte de l’instruction que le terrain litigieux a été acquis le 23 avril 2010 consécutivement à l’intervention d’un plan local d’urbanisme le classant pour partie en zone constructible et à la délivrance d’un certificat d’urbanisme concluant à la faisabilité de l’opération envisagée consistant en la construction d’une habitation ; que, par suite, un lien de causalité direct et certain est établi entre la faute résultant de l’adoption d’un plan local d’urbanisme illégal et le dommage subi par les requérants du fait de l’achat de la parcelle qu’ils ont pu croire constructible ;»

  • Les préjudices

Enfin, et c’est certainement là que la décision est la plus intéressante, le jugement retient que trois chefs de préjudice établis par les requérants peuvent être indemnisés :

  • la différence entre la valeur réelle de leur propriété et le prix indûment payé, évalué à près de 70 000 € ;
  • l’immobilisation improductive du capital engagé pour l’acquisition du terrain, évaluée à environ 5 500 € ;
  • et les frais financiers résultant de l’emprunt contracté pour l’acquisition du terrain, estimés à plus de 11 000 €.

Outre le fait que les sommes allouées sont relativement élevées (on sait en effet que le juge administratif rechigne habituellement à condamner l’Etat ou les collectivités à verser des montants trop importants), on ne manquera pas de relever que le préjudice constitué par la perte de valeur vénale du terrain aurait pu ne pas être indemnisé si la commune était parvenue à faire adopter son nouveau PLU à temps : dans cette hypothèse, le terrain aurait alors retrouvé sa valeur « initiale » et il n’aurait pas été justifié de dédommager les requérants…

Enfin, il convient de souligner que la solution du Tribunal s’inscrit dans la ligné d’un arrêt rendu par le Conseil d’Etat, qui avait considéré en 2015 qu’en classant des terrains en zone constructible alors que le loi Littoral ne le permettait pas, une commune avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, et reconnu l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre le classement illégal et le préjudice subi par l’acquéreur qui avait acquis les terrains à un prix trop élevé :

 « Considérant que la responsabilité d’une personne publique n’est susceptible d’être engagée que s’il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes qu’elle a commises et le préjudice subi par la victime ; que la cour a relevé que la commune de Crozon avait classé les terrains litigieux en zone constructible par une délibération de son conseil municipal du 6 mai 1998 approuvant la modification de son plan d’occupation des sols, après accord donné par le préfet du Finistère à l’extension de l’urbanisation dans le secteur de Kervéron, en méconnaissance des dispositions du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme qui limitent l’extension de l’urbanisation dans les communes littorales ; qu’elle en a déduit que la société Masarin avait, lors de l’acquisition des parcelles le 18 août 1998, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l’Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d’occupation des sols que de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d’acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d’occupation des sols de la commune ; qu’en retenant ainsi l’existence d’un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l’administration et le préjudice subi par la société Masarin, alors même qu’elle relevait par ailleurs que les actes de cession n’avaient été assortis d’aucune condition suspensive ou résolutoire, la cour administrative d’appel de Nantes a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; » (CE, 8 avr. 2015, n° 367167 : AJDA n° 28/2015, 7 sept. 2015, p. 1604).