URBANISME: la suppression temporaire de l’appel ne s’applique pas en cas de refus de permis (CE, 25 novembre 2015, n°390370)

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Par Lou DELDIQUE

Green Law Avocat

Un récent arrêt du Conseil d’Etat (CE, 25 novembre 2015, n°390370, consultable ici) précise les conditions d’application de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative.

Cette disposition, créée par le décret n°2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme, prévoit une suppression temporaire du degré d’appel pour les recours introduits contre certaines autorisations d’urbanisme dans les communes soumises à la taxe sur les logements vacants, soit dans les zones marquées par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements (voir notre analyse ici) :

« Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application. […] »

L’article R. 811-1-1 n’a toutefois qu’une portée expérimentale puisqu’il ne s’applique qu’aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018 (voir pour un exemple : CAA Lyon, 28 nov. 2014, n° 14LY03310).

L’objectif de cette mesure dérogatoire est d’accélérer le règlement des litiges affectant des projets de construction de logements : ceux-ci sont en effet fréquemment retardés par les recours de tiers, et l’article R. 811-1-1 a souvent été présenté comme le pendant de l’article 600-4 du code de l’urbanisme, qui permet au juge saisi d’un recours contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager de procéder à la cristallisation des moyens pour accélérer les débats.

En l’espèce, une société pétitionnaire avait contesté un refus de permis de construire devant le Tribunal administratif de Montreuil, qui avait fait droit à sa demande. Un appel avait été introduit contre ce jugement, mais la Cour administrative d’appel de Versailles, considérant que les conditions de mise en œuvre de l’article R. 811-1-1 étaient réunies, avait renvoyé le dossier au Conseil d ‘Etat.

La Haute Juridiction censure toutefois le raisonnement de la Cour. Rappelant que la règle posée par l’article R.811-1-1 présente un caractère dérogatoire et qu’elle doit donc être interprétée de manière restrictive, le Conseil d’Etat considère qu’elle ne peut s’appliquer aux refus d’autorisations, non visés par le texte :

« Considérant que ces dispositions, qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements bénéficiant d’un droit à construire, dérogent aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 811-1 du code de justice administrative qui prévoient que “ toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif… peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance “, et doivent donc s’interpréter strictement ; qu’il résulte des termes mêmes de l’article R. 811-1-1 qu’il ne vise que des jugements statuant sur des recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d’aménager et non les jugements statuant sur des recours formés contre des refus d’autorisation ;

Considérant que la demande formée par la SCI La Capsulerie devant le tribunal administratif de Montreuil tendait à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 14 octobre 2014 par lequel le maire de la commune de Montreuil a refusé de lui délivrer un permis de construire ; qu’il résulte de ce qui a été dit précédemment que le jugement ayant statué sur cette demande n’a pas été rendu en dernier ressort ;

Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de renvoyer à la cour administrative d’appel de Versailles le jugement de la requête de la commune de Montreuil qui présente le caractère d’un appel ; »

On ne manquera pas de noter que cette décision fait suite à deux autres arrêts du Conseil d’Etat, qui avaient déjà précisé que le champ d’application de l’article R. 811-1-1 doit être apprécié de manière rigoureuse.

Ainsi, dans un arrêt du 29 décembre 2014, le juge avait estimé que le jugement rendu à propos d’un permis de construire autorisant la réalisation d’une résidence hôtelière de tourisme était susceptible d’appel, puisqu’un tel projet ne « constitue pas un bâtiment à usage principal d’habitation au sens des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative » (CE, 29 déc. 2014, n° 385051).

 

De même, une décision du 9 octobre 2015 avait précisé que les dispositions issues du décret du 1er octobre 2013 n’ont pas vocation à s’appliquer dans le cadre d’un recours dirigé contre un permis autorisant l’installation d’une tente démontable destinée à accueillir des réceptions sur la terrasse du jardin d’un château, dès lors que celle-ci ne peut pas non plus être assimilée à un bâtiment à usage principal d’habitation (CE, 9 oct. 2015, n° 393032).