conseil d'état à ParisAinsi que nous l’avons déjà mentionné (voir ici), la question de l’applicabilité dans le temps de la réforme du contentieux de l’urbanisme issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013, et notamment des dispositions relatives à l’intérêt à agir du requérant contestant un permis de construire (articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 qui redéfinissent l’intérêt à agir et fixent sa date d’appréciation « à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire »), divise les juges du fond depuis l’automne 2013.

Pour rappel, alors que le texte même de l’ordonnance prévoit expressément que les nouvelles règles s’appliquent dès leur entrée en vigueur aux litiges en cours (ordonnance n° 2013-638, article 5), certaines juridictions, appliquant la jurisprudence classique du Conseil d’Etat, ont jugé irrecevables des demandes s’appuyant sur les nouvelles dispositions du code de l’urbanisme au motif « qu’une disposition nouvelle qui affecte la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative est, en l’absence de dispositions expresses contraires, applicable aux recours formés contre les décisions intervenues après son entrée en vigueur, alors même que ces dernières statuent sur des demandes présentées antérieurement à cette entrée en vigueur ; » (CE, 11 juill. 2008, n° 313386).

Il s’agissait là de la position du TA de Rennes (TA Rennes, ord., 12 sept. 2013, n° 1303007), mais aussi de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 3 oct. 2013, req. n° 11MA04815, AJDA 2013. 2392).

D’autres juridictions, considérant de manière assez surprenante que les articles susvisés ne portent pas atteinte à la substance du droit de recours, avaient au contraire accepté de les appliquer aux affaires introduites avant la réforme (CAA Lyon, 5 novembre 2013, n° 13LY01020 ; TA Toulon, 26 sept. 2013, n° 1101385 ; TA Toulon, 19 déc. 2013, n° 1300797, AJDA 2014. 300).

C’est donc par une décision très attendue que Conseil d’Etat a pris position (CE, 9 avril 2014,  n°338363, consultable ici).

Sans réelle surprise, la Haute Juridiction se prononce de manière conforme à sa propre jurisprudence et analyse l’intérêt à agir du requérant au regard des règles en vigueur à la date d’introduction de sa demande devant le tribunal administratif :

« Considérant, en premier lieu, que Mme D…, M. A…et M.C…, qui sont propriétaires de terrains et de constructions situés à proximité du lieu d’implantation du projet litigieux avaient, en cette qualité, compte tenu des règles en vigueur à la date d’introduction de leur demande devant le tribunal administratif de Grenoble, un intérêt suffisant leur donnant qualité pour agir contre l’arrêté du maire autorisant la réalisation de ce projet ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de leur défaut d’intérêt pour demander l’annulation de cet arrêté ne peut qu’être rejetée ; »

La rédaction de la décision est certes très elliptique et ne fait pas mention de la notion de « disposition nouvelle qui affecte la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir » comme on aurait pu s’y attendre, mais il faut à notre sens y voir la consécration de l’inapplicabilité de l’ordonnance du 18 juillet 2013 aux contentieux nés avant son entrée en vigueur.

L’arrêt apporte par ailleurs une illustration à la jurisprudence Fritot (voir notre analyse) sur le régime d’annulation partielle prévu par l’ancien article L. 600-5 du code de l’urbanisme.

En l’espèce, les juges du fond avaient, sur le fondement de cette disposition, partiellement annulé un permis de construire méconnaissant les règles du plan d’occupation des sols, au motif que cette illégalité n’affectait qu’une partie du permis délivré.

Le Conseil d’Etat censure toutefois cette appréciation : il estime en effet que l’illégalité relevée viciait le permis en son entier, et que les conditions d’application de l’article L. 600-5 (l’illégalité entachant le permis ne doit affecter qu’une « partie identifiable » de ce dernier, et elle doit pouvoir être régularisée par un arrêté modificatif de l’autorité compétente) n’étaient donc pas remplies (CE, 1er mars 2013, n°350306).

 « Considérant, toutefois, que l’illégalité du permis de construire litigieux relevée par le tribunal administratif, qui tenait à la méconnaissance de l’article NA 5 du règlement du plan d’occupation des sols, viciait le permis en son entier, dès lors que seul un nouveau projet, prévoyant une implantation appropriée des maisons à construire, pouvait être autorisé dans le respect des dispositions, mentionnées au point 4, de l’article du règlement en cause ; qu’ainsi, en prononçant une annulation partielle du permis de construire litigieux sur le fondement des dispositions de l’article L 600-5 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif de Grenoble s’est mépris sur les pouvoirs qu’il tenait de cet article et a méconnu son office ; qu’il incombait à la cour administrative d’appel, même d’office, de censurer une telle irrégularité, puis de statuer sur la demande présentée devant les premiers juges par la voie de l’évocation; que l’erreur commise par la cour en ne procédant pas ainsi doit être relevée d’office par le juge de cassation ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens du pourvoi, l’arrêt attaqué doit être annulé ; »

Lou Deldique

Green Law Avocat