Par une décision Cour de cassation, 3ème chambre civile, 09/05/2012, n°11-13597, les juges de cassation ont ouvert la possibilité pour le titulaire d’un permis de construire de saisir le juge judiciaire d’une demande indemnitaire à raison de l’exercice abusif d’un Recours pour Excès de Pouvoir (REP, ou recours en annulation) formé à l’encontre de son permis.  

 

Cette jurisprudence importante vient répondre à la problématique posée par l’existence de recours abusifs contre les permis de construire, ce qui peut selon les cas engendrer un préjudice particulièrement important pour leur bénéficiaire.

 

En l’espèce, la personne poursuivie devant le juge civil en réparation du préjudice causé au titulaire d’un permis qu’elle avait attaqué, soutenait principalement que la juridiction judiciaire n’était pas compétente pour statuer sur les demandes indemnitaires du titulaire, seul le juge administratif (devant lequel le recours en annulation est intenté) l’étant. Or, la Cour de cassation rejette cet argument dans un attendu de principe:

 « la cour d’appel a retenu, à bon droit, que les juridictions de l’ordre judiciaire étaient en principe compétentes pour connaître des actions en responsabilité civile exercées par une personne privée à l’encontre d’une autre personne privée et qu’il n’était pas justifié en la cause d’une exception à ces principes qui ne saurait résulter de la seule nature particulière du recours pour excès de pouvoir ni de la simple application de la règle selon laquelle le juge saisi d’une instance serait nécessairement celui devant connaître du caractère abusif de sa saisine ».

 

 Ainsi, la compétence du juge judiciaire a été reconnue pour juger du caractère abusif d’un recours pour excès de pouvoir intenté à l’encontre d’un permis de construire dans le cadre d’une demande indemnitaire dont il est saisi par le titulaire de ce permis.

 

Cette décision n’est évidemment pas anodine.

 

Rappelons tout d’abord qu’il n’est pas dans la culture du juge administratif de reconnaître le caractère abusif d’un recours, et pour preuve, les cas où il reconnait ce caractère sont finalement assez rares (voir pour un exemple récent: CE, n°353596, 27 juillet 2012). De surcroit, la possibilité offerte de condamner un requérant pour recours abusif (prévue par l’article R. 741-12 du code de justice administrative) demeure une simple faculté pour le juge, qui n’est pas lié en cela par les éventuelles demandes de la partie adverse (voir CAA Versailles, n°10VE02406, 15 mars 2012) ; il n’a d’ailleurs pas à motiver sa décision ou non d’infliger une amende pour recours abusif (CE, sect., 9 nov. 2007, n° 293987, Pollart : JurisData n° 2007-072628 ; Rec. CE 2007, p. 445).

Il n’est pas inutile de préciser qu’une telle amende peut être infligée à une collectivité publique (CE, 26 mars 1971, Dpt Seine-et-Marne : Rec. CE 1971, p. 261. – CE, 3 oct. 1986, n° 59722, Régie passages d’eau Charente-Maritime : Rec. CE 1986, tables, p. 771. – CE, 6 juill. 1992, n° 112706, Cne Levallois-Perret) et à un établissement public (CAA Paris, 14 févr. 1989, n° 89PA00116, Caisse dépôts et consignations : Dr. adm. 1989, comm. 586).

Toutefois, dans les cas où il le reconnaît, l’amende qu’il peut infliger à l’auteur de ce recours est limitée à 3000 euros. En comparaison au préjudice financier subi par le titulaire d’une autorisation d’urbanisme pour un projet immobilier ou un projet éolien victime d’un recours abusif, on peut qualifier cette amende de dérisoire et de non dissuasive.

Cette remarque vaut même si la jurisprudence a pu préciser qu’en cas de requête collective, le total des amendes peut excéder 3 000 euros, sans que cependant la part de l’amende que chacun des auteurs de cette requête est condamné à payer ne puisse excéder 3 000 euros (CE, 14 oct. 2009, n° 322164, Kemlin : JurisData n° 2009-011039).

 

Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de remettre en cause le bien fondé d’une majorité de recours à l’encontre d’une décision d’urbanisme mais de relater l’existence de dérives dont le droit en vigueur, avant cette décision de la Cour de cassation, n’était pas en mesure de contenir.

 

D’ailleurs, cet état du droit était jugé insatisfaisant par de nombreux parlementaires, les poussant à présenter périodiquement des propositions de lois visant à limiter le risque de recours abusif dans le domaine de l’urbanisme.

Le gouvernement également s’était emparé du problème. En effet, répondant à une question parlementaire relative au contentieux de l’urbanisme, il avait reconnu que « la question des contentieux et des recours abusifs reste un sujet très sensible. Le Conseil d’État a été saisi récemment afin d’apporter un appui dans la définition des mesures complémentaires susceptibles de réduire le risque et d’améliorer le traitement des contentieux » (Question écrite n°94237, M. Grenet, JO du 23/11/10 ; Réponse Ministre du logement, JO du 01/03/2011). Pour remédier à cette situation, il envisageait notamment dans le même temps que la réforme de l’urbanisme alors annoncée, d’augmenter les amendes en cas de recours abusif et de faire expliciter par les requérants leur intérêt à agir (« Pour un urbanisme de projet, séminaire du Secrétaire d’Etat au logement des 26 et 27 mai 2011, Atelier 3 : Réduction du contentieux).

Cette réforme, tout comme les propositions de loi des parlementaires n’ont jamais abouti.

 

La Cour de cassation, par cette décision, a donc pris les devants d’une situation qui semblait être politiquement insoluble.

 

Désormais, les auteurs d’un recours pour excès de pouvoir dont le caractère abusif sera avéré pourront se voir condamner par le juge judiciaire à verser des dommages et intérêts dont le montant sera bien supérieur à celui prévue par le Code de justice administrative, à condition toutefois que leur recours ait causé un préjudice certain au titulaire du permis.

 

 D’ailleurs, et cela constitue sans aucun doute la preuve que cette nouvelle possibilité était très attendue, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de confirmer sa solution.

Ainsi, par un arrêt Cour de cassation, 3ème chambre civile, 05/06/2012, n°11-17919, la Cour de cassation a confirmé sa position en approuvant la décision de la Cour d’appel d’Aix en Provence ayant condamnée une société A de promotion immobilière au versement de dommages et intérêts d’un montant de 385 873 euros au titulaire – une société B de promotion immobilière concurrente –  d’un permis de construire pour exercice abusif d’un REP contre ce permis ayant entrainé un préjudice financier à la société B.

En effet, reprenant les conditions d’admission de l’abus de droit d’ester en justice, la Cour d’appel d’Aix en Provence reconnait tout d’abord que le recours pour excès de pouvoir avait été inspiré non par des considérations visant à l’observation des règles d’urbanisme mais par la volonté de nuire aux droits du bénéficiaire, caractérisant ainsi la faute du requérant.

 Ensuite, elle reconnait que « le recours pour excès de pouvoir et son maintien pendant plus de quatre années, malgré le caractère exécutoire du permis de construire délivré, avait perturbé le projet immobilier de la société [B] de promotion immobilière et l’avait empêchée de le mettre en œuvre », caractérisant ainsi le lien de causalité entre l’exercice abusif du recours de la société A et le préjudice financier subi par la société B.

 Dans ce cas précis, la Cour de cassation a jugé que le lien de causalité entre le préjudice financier et le recours dilatoire était suffisamment établi. En effet, la société A avait choisi pour son programme immobilier de recourir à la vente en état futur d’achèvement, modalité l’obligeant à attendre que le permis soit devenu définitif et  purgé de tout recours pour pouvoir procéder à la vente.

 

Ainsi, si en principe un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire n’a pas pour effet d’empêcher juridiquement la réalisation de la construction autorisée (car le recours en annulation n’est pas suspensif), il avait pourtant incidemment, dans ce cas précis, cet effet là.

On peut alors se demander dans le cas où la construction n’est pas réalisée du fait de l’attente, par les financeurs du projet, d’un permis de construire définitif et purgé de tout recours, si le lien de causalité entre le recours dilatoire et le préjudice financier serait également reconnu.

Tout sera affaire de circonstances et de justifications, mais il ne sera pas rare de voir d’entiers projets de construction suspendus tant que le recours contre le ou les permis soit purgé, à défaut de bénéficier des financements nécessaires. 

 

 Quoi qu’il en soit, gageons que ce nouvel état de la jurisprudence judiciaire aura un effet plus dissuasif pour les auteurs de recours pour excès de pouvoir présentant un caractère abusif que le risque d’une simple amende de 3000 euros.

 

 

 

Stéphanie Gandet

Avocat Associé

 

Etienne Pouliguen

Juriste

GreenLaw Avocat