conseil d'état à ParisOn se souvient que l’association Vent de colère ! a saisi le Conseil d’Etat d’un recours en excès de pouvoir à l’encontre des arrêtés du 17 novembre 2008 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent et de l’arrêté du 23 décembre 2008 le complétant, en arguant notamment du fait que ces arrêtés auraient institué une aide d’Etat en méconnaissance de l’obligation, qu’impose aux Etats membres l’article 88 du Traité instituant la Communauté européenne (actuel article 108 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, TFUE), d’en notifier le projet à la Commission, préalablement à toute mise à exécution.

 

Dans un arrêt en date du 15 mai 2012, le Conseil d’Etat a considéré que le dispositif institué par ces arrêtés remplit trois des quatre critères de qualification d’aide d’Etat. Il a également sursis à statuer sur la requête et saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur le point de savoir si le quatrième critère de qualification d’aide d’Etat est satisfait (Association Vent de Colère, req. n° 324852). Dans un arrêt rendu le 19 décembre 2013, la Cour a répondu par l’affirmative à cette interrogation (Association Vent de Colère, Affaire C-262-12). Selon toute vraisemblance, le Conseil d’Etat tirera prochainement les conséquences de cet arrêt rendu sur question préjudicielle en jugeant que les arrêtés de 2008 ont institué un dispositif d’aide d’Etat illégal, faute d’avoir été notifié à la Commission européenne avant sa mise en exécution. A cet égard, le rapporteur public aurait conclu lors de l’audience à l’annulation des arrêtés sans différer les effets de ces annulations dans le temps.

 

Dans l’hypothèse où la formation de jugement suivrait les conclusions de son rapporteur public, il importe de s’interroger sur les conséquences de ces annulations, sachant que le nouveau projet d’arrêté tarifaire est en cours de préparation.

En principe, lorsqu’une aide est illégalement versée, au motif que la Commission européenne n’a pas été en mesure, faute de notification, de se prononcer, préalablement à son versement, sur sa compatibilité avec le marché commun, cette illégalité implique, en principe, la « restitution » des sommes versées depuis l’origine en l’absence de circonstances exceptionnelles susceptibles d’y faire obstacle (CE 29 mars 2006, Centre d’exportation du livre français, req. n° 274923).

 

La Cour de justice de l’Union européenne a néanmoins admis que cette « restitution » n’était pas exigée lorsque la Commission européenne avait adopté une décision finale constatant la compatibilité de l’aide avec le marché commun. Dans cette situation, le bénéficiaire de l’aide serait néanmoins tenu de payer les intérêts au titre de la période d’illégalité (CJUE 12 février 2008, Centre d’exportation du livre français, Affaire C-199/06, paragraphes 51 et suivants). En effet, dans ce cas, l’avantage indu pour les bénéficiaires aura consisté, d’une part, dans le non-versement des intérêts qu’ils auraient acquittés sur le montant en cause de l’aide compatible, s’ils avaient dû emprunter ce montant sur le marché dans l’attente de la décision de la Commission et, d’autre part, dans l’amélioration de leur position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant la durée de l’illégalité (CJUE 12 février 2008, Centre d’exportation du livre français, précité, paragraphe 51).

 

Au cas particulier, parallèlement à la procédure juridictionnelle en cours, les autorités françaises ont notifié un dispositif de soutien à la production d’électricité à partir d’éoliennes terrestres et, d’après un communiqué publié le 27 mars 2014, la Commission européenne aurait conclu que ce régime serait compatible avec les règles du Traité relatives au marché intérieur. Bien que la décision de la Commission n’ait, à ce jour, pas encore été publiée, il semble permis de considérer à la lumière du communiqué de la Commission que cette dernière aurait reconnu que le régime institué par les arrêtés de 2008 est compatible avec le marché commun.

 

Dans ces conditions, les opérateurs éoliens seraient tenus de rembourser les intérêts qu’ils auraient dû acquitter au titre de la période d’illégalité de l’aide, sauf à parvenir à établir l’existence de circonstances exceptionnelles (ce point n’est pas traité ici). Si l’on suit le rapporteur public dans ses conclusions prononcées à la suite de l’arrêt de la Cour de justice, la période d’illégalité s’étalerait du 17 novembre 2008, date de publication de l’arrêté tarifaire, au 27 mars 2014, date de la décision de la Commission sur la compatibilité du dispositif. Bien qu’en principe, le montant des intérêts à payer ne soit pas aussi élevé que le montant de l’aide qui a été alloué, il pourrait quand même atteindre, pour certains opérateurs éoliens, plusieurs milliers d’euros.

Dans ce contexte, il convient de se demander si les coûts liés au remboursement de l’aide pourraient être supportés par l’Etat dans le cadre d’une action en responsabilité exercée devant le juge administratif. Bien que cette démarche soit théoriquement envisageable, son issue nous paraît toutefois pour le moins incertaine.

 

En principe, les opérateurs éoliens seraient fondés à mettre en jeu la responsabilité de l’Etat du fait de la faute que ce dernier aurait commise en mettant à exécution le dispositif d’aide sans respecter les formalités procédurales prévues par l’actuel article 108, paragraphe 3 du TFUE (cf., pour le cas d’aide notifiée avec retard et déclarée incompatible : CAA Paris 23 janvier 2006, Groupe Salmon Arc-en-Ciel, req. n° 04PA01092 ; TA Clermont-Ferrand 23 septembre 2004, SA Fontanille, req. n° 0101282).

 

Néanmoins, la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat du fait de cette faute ne nous semble ouvrir droit qu’à un nombre restreint de préjudices indemnisables. En effet, l’étendue du préjudice indemnisable paraît contrainte par deux séries de règles qu’il convient de rappeler.

  • D’une part, les règles du droit communautaire et notamment, le principe de coopération loyale énoncé à l’article 4 du Traité sur l’Union européenne nous semblent faire obstacle à ce que l’Etat soit condamné à indemniser l’opérateur éolien d’un montant égal aux intérêts que ce dernier devrait lui rembourser. Sinon, comme le souligne un commentateur de la doctrine, « le dispositif de contrôle communautaire serait affaibli et l’ensemble de l’édifice juridique du droit des aides serait affaibli » (M. Disant, le juge administratif et l’obligation communautaire de récupération d’une aide incompatible, RFDA 2007, p. 547).
  • D’autre part, les règles du droit de la responsabilité administrative font obstacle à l’indemnisation d’un préjudice dont le lien de causalité avec le fait dommageable ne serait pas établi ou qui ne présenterait pas un caractère direct et certain (CE 21 février 2000, Vogel, req. n° 195207). Dans ce cadre, le préjudice moral ou d’image lié à l’obligation de restituer une partie des sommes paraît difficilement indemnisable (cf., CAA Paris 23 janvier 2006, Groupe Salmon Arc-en-Ciel, précité). En revanche, le juge administratif pourrait accepter d’indemniser en partie les frais financiers et administratifs rendus nécessaires par le paiement des intérêts (cf., CAA Paris 23 janvier 2006, Groupe Salmon Arc-en-Ciel, précité). Pourraient entrer dans ce chef de préjudice, par exemple, les frais de dossier liés à l’éventuelle souscription d’un crédit pour payer les intérêts dû au titre de la période d’illégalité, ou encore, des frais correspondant au temps consacré à la procédure de remboursement. Au final, si le préjudice indemnisable paraît faible, il ne serait pas inexistant. De son côté, l’opérateur éolien pourrait-il se voir reprocher d’avoir commis une faute de nature à atténuer la responsabilité de l’Etat ? Autant de questions qui ne semblent pas devoir appeler de réponses univoques. Décidément, cet épisode de la saga « Vent de colère »  n’a pas fini d’interroger…

 

Yann BOREEL

Green Law Avocat