Permis de construire : la notification d’un délai d’instruction erroné fait obstacle à la naissance d’une autorisation tacite (CAA Marseille, 5 avril 2017, n° 15MA01348)

Businessman busy with paperwork in office

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Par

Maître Lou DELDIQUE (Green Law Avocat)

Par une récente décision (consultable ici), la Cour administrative d’appel de Marseille précise que la notification d’un délai d’instruction erroné n’a pas pour effet de faire naître un permis tacite à l’issue du délai de droit commun.

 

Rappelons en effet que le délai d’instruction d’une demande de permis de construire est normalement de deux mois pour les maisons individuelles ou leurs annexes, et de trois mois pour les autres projets (C. urb., art. R. 423-23).

 

Ce délai peut toutefois être majoré dans une série de cas énumérés aux articles  R. 423-24 et suivants du code de l’urbanisme, et il incombe alors au service instructeur d’en avertir le pétitionnaire dans un délai d’un mois à compter du dépôt de la demande en mairie (C. urb., art. R. 423-18, et R. 423-42 : voir par exemple : CAA Lyon, 2 oct. 2012, n° 12LY00334).

 

Cette formalité revêt une importance particulière, car sans elle, le pétitionnaire pourrait se croire en possession d’un permis tacite à l’issue du délai de droit commun (ainsi que l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme le prévoit).

 

En l’espèce, une SCI avait, le 21 février 2012, déposé une demande de permis de construire pour étendre une maison individuelle et construire un garage annexe à cet immeuble. Une semaine plus tard, la commune l’avait informée que le délai d’instruction devait être porté à un an, en raison de la situation du terrain d’assiette du projet dans un site classé et de la nécessité de consulter la commission départementale des sites.

 

Or ce délai était erroné, dans la mesure où le terrain d’implantation du projet ne se trouvait en réalité pas à l’intérieur du site classé.

 

Un permis de construire avait été délivré à la SCI en juillet 2012, mais le Maire l’avait ensuite retiré en octobre de la même année : c’est cette dernière décision qui était contestée.

 

La requérante soutenait que le délai qui lui avait été notifié à tort ne lui était pas opposable, et qu’elle était par conséquent en possession d’un permis de construire tacite depuis le 21 avril 2012 (soit à l’expiration du délai d’instruction de droit commun).

 

Notons que son interprétation pouvait sembler pertinente, dans la mesure où il avait déjà été jugé que lorsque l’administration notifie un délai d’instruction erroné (CAA Marseille, 20 mars 2015, n° 13MA03325 ; CAA Lyon, 5 nov. 2013, n° 13LY01217 ; CAA Versailles, 19 nov. 2009, n° 08VE01792 ; CE, 7 juill. 2008, n° 310985), le courrier est inopposable au pétitionnaire, et sans incidence sur la naissance d’une décision implicite à l’issue du délai véritablement applicable.

 

En janvier 2016, la Cour administrative d’appel de Marseille avait d’ailleurs considéré que la modification du délai d’instruction par une autorité incompétente était sans effet, et que le pétitionnaire pouvait par conséquent s’estimer titulaire d’une autorisation tacite à l’issue du délai d’instruction de droit commun  (CAA Marseille, 5 janv. 2016, n° 13MA04778).

 

Ce n’est toutefois pas la solution qu’elle a retenue dans l’arrêt commenté.

 

Ainsi, bien qu’elle reconnaisse son caractère illégal, la Cour considère que le courrier adressé à la SCI a malgré tout eu pour effet de proroger le délai d’instruction, faisant ainsi obstacle à la naissance d’une décision tacite. Dans ces conditions, la décision de retrait n’était pas tardive :

 

« Considérant qu’il résulte des dispositions des articles L. 424-2, R.*423-19 et R*423-42 du code de l’urbanisme, qu’une décision de permis de construire tacite naît à l’issue du délai d’instruction, éventuellement modifié, de la demande de permis de construire, en l’absence de notification d’une décision expresse de l’administration ; que le caractère erroné du délai d’instruction notifié par l’autorité compétente ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision de permis de construire tacite à l’issue du délai légalement applicable ;

 

 Considérant que la SCI DIMAR a déposé le 21 février 2012 une demande de permis de construire pour étendre une maison individuelle et construire un garage annexe à cet immeuble ; que le 28 février 2012 la commune de Saint-Cyr-sur-Mer informait la société pétitionnaire que le délai d’instruction expirerait le 21 février 2013 en raison de la situation du terrain d’assiette du projet dans un site classé et de la nécessité de la consultation pour avis de la commission départementale des sites ; que, toutefois, les travaux dont l’autorisation était demandée ne s’effectueraient pas à l’intérieur du site classé ; que, par suite, le délai d’instruction d’un an notifié à la SCI DIMAR était erroné ; que, cependant, cette circonstance n’a pas eu pour effet de rendre la société titulaire d’un permis de construire tacite à l’issue du délai de deux mois légalement applicable et antérieurement à la décision expresse lui délivrant le permis de construire demandé le 6 juillet 2012 ; qu’il n’est pas contesté que la décision de retrait du 2 octobre 2012 de cette dernière autorisation n’a pas été notifiée au-delà du délai de trois mois à l’intérieur duquel le retrait d’une autorisation illégale est possible, ainsi que le prévoient les dispositions de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision de retrait en litige serait tardive, car postérieure de plus de trois mois à l’autorisation tacite invoquée, doit être écarté ; »

 

Si elle peut surprendre, cette solution semble s’inspirer de deux arrêts rendus par le Conseil d’Etat en 2015. La Haute Juridiction avait ainsi considéré que :

 

  • l’annulation d’une demande de pièces manquantes ne rend pas le demandeur titulaire d’un permis tacite ou d’une décision implicite de non-opposition, et ne fait pas disparaître la décision tacite d’opposition qui est née en l’absence de transmission des pièces demandées (CE, 8 avr. 2015, n° 365804) ;
  • le délai à l’issue duquel le pétitionnaire peut s’estimer titulaire d’une autorisation tacite est interrompu par une demande de pièces manquantes illégale (CE, 9 décembre 2015, n°390273).

 

Par conséquent, on ne peut que conseiller aux pétitionnaires confrontés à cette situation de contester la décision modifiant le délai d’instruction devant le juge de l’excès de pouvoir (ce qui est possible si la décision retarde l’intervention de l’autorisation de construire : CE, 22 oct. 1982, n° 12522 ; CE, 29 juill. 1994, n° 123342).