Chantiers de la simplification du droit de l’environnement : régresser ou ne pas régresser, telle est la question… ! (CE, 8 déc.2017- annulation partielle rubrique nomenclature étude d’impact)

No return back road sign over blue sky blank for textPar Me Sébastien BECUE (GREEN LAW AVOCATS)

Aux termes d’une décision du 8 décembre 2017 (n°404391) destinée à être mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat supprime, sur le fondement du principe de non-régression du droit de l’environnement, une partie du contenu de la rubrique n°44 « Equipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés » de la nomenclature déterminant les projets soumis à étude d’impact figurant en annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement.

Analyse.

  • Une apparente double régression

Une association de protection de l’environnement introduit un recours en annulation à l’encontre des paragraphes (a) et (d) de cette rubrique, dans leur rédaction issue de la dernière révision d’ampleur du régime de l’évaluation environnementale par le décret n°2016-1110 du 11 août 2016.Ces dispositions prévoient la soumission à étude d’impact au cas par cas, c’est-à-dire après avis de l’autorité environnementale statuant sur l’opportunité de la réalisation d’une étude d’impact au regard des caractéristiques d’un projet donné :

  • pour l’aménagement de pistes permanentes de courses et d’essais pour véhicules motorisés d’une emprise supérieure ou égale à 4 hectares (a),
  • et  la construction d’équipements sportifs et de loisirs, ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau, susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes (d).

Auparavant :

  • l’ancienne rubrique n°44 disposait qu’étaient soumis à évaluation environnementale systématique les aménagement de terrains pour la pratique de sports ou loisirs motorisés d’une emprise totale supérieure à 4 hectares ; et au cas par cas les aménagement de moins de 4 hectares,
  • et l’ancienne rubrique n°38 prévoyait qu’étaient soumis au régime systématique les équipements culturels, sportifs ou de loisirs susceptibles d’accueillir plus de 5 000 personnes ; et au cas par cas ceux susceptibles d’accueillir plus de 1 000 personnes et moins de 5 000 personnes. 

A première vue, et c’était là l’argumentation de l’association, il semble bien que ces « déclassements » puissent être qualifiés de « régression » de la protection de l’environnement, à tout le moins dans le sens courant du terme, à savoir une évolution en sens inverse d’un phénomène qui cesse de progresser.

En effet, d’une part, certains projets soumis systématiquement à évaluation environnementale bénéficient désormais du régime plus favorable de l’examen au cas par cas, ce qui peut permettre à certains d’entre eux de ne pas faire l’objet d’une évaluation, en considération de leurs caractéristiques et de leurs impacts supposés sur l’environnement et la santé humaine.

D’autre part, certains projets qui faisaient l’objet d’un examen au cas par cas ne sont plus, en aucun cas, soumis à évaluation, sans même d’examen au cas par cas.

 

  •  L’invocation d’un principe aux contours et à la portée normative encore flous

L’association requérante fonde son argumentation sur le principe législatif de non-régression, qui figure à l’article L. 110-1 du code de l’environnement depuis l’intervention de la loi 2016-1087 du 8 août 2016 dite « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysage ».

Ce nouveau principe directeur du droit de l’environnement, « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

Lors de son contrôle de la conformité du principe à la Constitution, le Conseil constitutionnel lui a reconnu une portée normative en ce qu’il« s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire » (décision2016-737 DC du 4 août 2016).

Restait donc à savoir comment le Conseil d’Etat allait contrôler concrètement le respect de cette injonction faite à l’exécutif, légitimement saluée par les associations de protection de l’environnement mais également source de crainte pour les porteurs de projets qui réclament de longue date une véritable simplification du droit de l’environnement.

  • Une application pragmatique du principe de non-régression

La décision du Conseil d’Etat ne propose pas directement de guide général de mise en œuvre du principe.

Saisi d’une question relative à son application au régime juridique de l’évaluation environnementale, l’appréciation du Conseil d’Etat est bornée à ce domaine du droit de l’environnement.

Confronté à deux types possibles de régression, le Conseil d’Etat différencie.

  • Il n’y pas régression quand une règlementation « déclasse » un type de projet de la soumission systématique vers la soumission au cas par cas.

En effet, les projets compris dans la catégorie déclassée resteront soumis à évaluation environnementale si l’autorité environnementale estime, après une analyse concrète des caractéristiques de l’espèce, que les risques pour l’environnement méritent d’être étudiés.

C’est un témoignage important de confiance dans la capacité des administrations assurant le rôle d’autorité environnementale à déterminer quels sont les projets.

Il est clair que cette confiance s’explique notamment par l’exigence dont a récemment fait preuve le Conseil d’Etat vis-à-vis de cette institution, dont il a été confirmé dans la douleur qu’elle doit être fonctionnellement indépendante de l’autorité qui délivre l’autorisation (voir notre article L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !).

  • Il y a présomption de régression lorsqu’une catégorie de projets ne peut plus faire l’objet d’une évaluation environnementale alors que les projets y étaient soumis auparavant. La forme négative choisie pour la rédaction de la phrase est révélatrice : dans ce cas, il y a bien, dans ce cas, régression « en principe ».

Cette présomption est néanmoins réfragable : il est possible de démontrer la légitimité d’une telle soustraction. Pour cela, le type de projet devenu insusceptible d’être évalué doit également être insusceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine.

Le Conseil d’Etat liste les indices permettant de justifier ce choix : la nature, les dimensions, la localisation, du type de projet, et rappelle que cette appréciation se fait au regard des connaissances scientifiques, comme le prévoit l’article L. 110-1 précité.

En l’espèce, il estime que le bilan est négatif : l’association requérante a démontré, sans être efficacement contredite par l’exécutif, que ces types de projets peuvent avoir des incidences notable sur l’environnement « lorsqu’ils sont localisés dans ou à proximité de lieux où les sols, la faune ou la flore sont particulièrement vulnérables ».

Le Conseil d’Etat tranche ainsi in concreto, au regard du dossier qui lui est soumis, constitué en toute logique des argumentations respectives des parties : le gouvernement, l’association requérante mais également possiblement les fédérations d’activités concernées.

Il supprime en conséquence les seuils que prévoyaient les paragraphes a) et d) de la rubrique n°44, afin de maintenir la possibilité d’une soumission après examen au cas par cas des projets se trouvant en deçà des seuils.

L’exécutif n’est ainsi pas privé du droit de soustraire tout type de projet de l’obligation d’évaluation environnementale.

En revanche, avant d’effectuer un déclassement, il doit s’interroger sur les conséquences concrètes de cette soustraction : cette réforme va-t-elle permettre à des projets risqués pour l’environnement de ne pas faire l’objet d’une évaluation environnementale ? Est il possible de démontrer que ce n’est pas le cas à l’aide de pièces dans le cadre d’un contrôle a posteriori ?              

  • Vers de nouvelles applications ?

D’un côté, à défaut d’être généralisable dès lors qu’elle adresse spécifiquement la question de l’évaluation environnementale, le raisonnement du Conseil d’Etat qui devrait s’appliquer dans les autres domaines de la protection de l’environnement est plutôt rassurant : la seule régression « formelle » n’est pas sanctionnable ; seule la régression « substantielle » l’est.

Prenons l’exemple du décret n°2017-81 du 26 janvier 2017 qui crée la partie réglementaire du nouveau régime de l’autorisation unique environnementale et notamment l’article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme qui prévoit une dispense de permis de construire pour les nouvelles éoliennes.

Nous savons que des associations anti-éoliennes ont contesté cette disposition sur le fondement du principe de non-régression. La question qui devrait se poser est celle du bilan global de la réforme, à savoir : l’obligation pour les éoliennes de bénéficier à la fois d’un permis de construire et d’une autorisation d’exploiter permettait-elle une meilleure protection de l’environnement que sa seule soumission à autorisation unique environnementale ?

De l’autre, l’impact de la portée normative du principe ainsi révélée est potentiellement vertigineux. Tous les décrets intervenus et à intervenir en matière de protection de l’environnement depuis l’entrée en vigueur de la loi Biodiversité y sont soumis.