Le droit de l’environnement, et plus spécifiquement le droit des ICPE, continue sa percée dans le domaine des relations privées (sur ce point cf. en particulier les travaux du Professeur François-Guy TREBULLE et de Mathilde BOUTONNET).

Les contractants doivent de plus en plus tenir compte de la police des ICPE dans le cadre des conventions immobilières.

Si l’impact du droit de l’environnement en matière de ventes immobilières a été bien identifié, largement commenté et rapidement appréhendé par les parties, tel n’est pas le cas du droit des baux.

En effet, un grand nombre de baux destinés à supporter une activité relevant de la nomenclature ICPE ne comporte, encore aujourd’hui, aucune stipulation précise quant aux modalités de restitution de l’immeuble en fin de bail et ne prévoit aucun audit de pollution dans le cadre de l’état des lieux d’entrée.

Or, la question de l’articulation entre la remise en état du site telle que relevant de la législation ICPE et la restitution du bien selon les dispositions du Code civil se pose avec d’autant plus de force que ces deux notions juridiques ne se recouvrent pas nécessairement et peuvent conduire à des divergences notables.

Concrètement, il convient de s’interroger sur le niveau de dépollution dû par le preneur-exploitant à la fin de l’exploitation de son activité et de son bail.

Aucune difficulté dans l’hypothèse où les prescriptions administratives imposent une remise en état du site dans son état initial et prévoient une dépollution totale du site. Qui devra le plus au titre de la police ne pourra le moins sauf à engager sa responsabilité délictuelle et s’exposer aux sanctions administratives

Mais qu’en est-il lorsque celles-ci sont plus limitées, eu égard notamment à l’usage futur du site, et que le bailleur entend obtenir une dépollution plus importante?

La Cour de cassation n’a pas encore répondu, de manière parfaitement claire, à cette question et ce point sera très certainement tranché prochainement.

Néanmoins, et en attendant,  il est d’ores et déjà possible de déceler quelques pistes de réflexion susceptibles d’être prises en compte dans la détermination de la solution.

En application du droit de l’environnement, et plus spécifiquement de la réglementation ICPE, il est certain que le preneur-exploitant devra se conformer aux prescriptions administratives de remise en état sous peine de voir sa responsabilité engagée.

Ce point fait l’objet d’une position constante de la Cour de Cassation qui considère que l’absence de respect des mesures administratives constitue une faute civile de nature à engager la responsabilité du locataire à l’égard du bailleur.

Mais le bailleur peut-il exiger du preneur une dépollution totale ou quais-totale des lieux lorsque celle-ci n’est pas imposée l’administration ?

Pour tenter de répondre à cette interrogation, il est nécessaire de se placer sur le terrain du droit des baux qui prend alors le relais du droit des ICPE.

En l’absence de toute clause insérée dans le contrat, le droit commun du bail prévoit, aux termes de son article 1731 du Code Civil :

« S’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf preuve du contraire ».

Ainsi, une présomption de bon état des lieux est instituée et il appartient, le cas échéant, au locataire de démontrer que tel n’était pas le cas en l’espèce.

En l’occurrence, on pourrait être tenté de retenir, sur le fondement de ce texte, que le preneur doit effectuer une dépollution totale du terrain en l’absence de toute mention au contrat de bail et d’état des lieux précis sur ce point.

Cependant, cette approche, particulièrement sévère pour le preneur-exploitant exerçant une activité polluante, n’est, à notre sens, pas conforme à l’esprit du texte.

En effet, l’article susvisé prend soin de préciser que l’obligation de restitution imposée au locataire s’entend d’un « bon état de réparations locatives » et non d’une remise en état initial du bien.

Par ailleurs, et c’est un là un point essentiel, il échet d’interpréter les dispositions du Code civil les unes par rapport aux autres.

Or, aux termes de l’article 1732 dudit Code:

« Il [le preneur] répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».

Les dispositions de cet article permettent de limiter l’obligation de restitution du locataire aux dégradations causées de manière fautive.

Dès lors, seule une usure anormale du bien serait susceptible de lui être imputée, c’est-à-dire une usure résultant d’une faute du preneur dans la jouissance du bien.

Appliqué à l’exploitation d’une ICPE ayant généré de la pollution sur le terrain d’emprise, objet du bail, ce texte induit qu’en l’absence de faute du preneur-exploitant dans l’exercice de son activité, il ne pourrait lui être imposé, au titre de son obligation de restitution, un niveau de dépollution supérieur à celui requis par l’administration et qui est aujourd’hui déterminé par l’usage futur du site.

L’interprétation a contrario d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris semble aller en ce sens (CA Paris, 16e ch. A, 7 mars 2007, n°05/05004 : Juris-Data n°2007-330937).

Dans cette espèce, les juges du fond ont décidé que le preneur exploitant, exerçant une activité de travaux publics agricoles, avait commis une faute en ne prenant pas les mesures nécessaires à prévenir toute pollution dès lors que celle-ci résultait de l’existence de fuites et débordements lors d’opérations de transvasement et dépotage.

Ils ont dès lors fait droit à la demande de dommages et intérêts intentée par le bailleur en réparation du préjudice subi.

Ainsi, cette jurisprudence laisse à penser que le preneur, qui aura pris toutes les dispositions nécessaires à l’exercice de son activité, pourra valablement opposer au bailleur la vétusté naturelle du bien inhérente à l’exploitation que ce dernier a parfaitement accepté aux termes de la destination du bail.

A cet égard, la Cour de Cassation a déjà considéré que le bailleur pouvait avoir à supporter une pollution résiduelle du site lorsque le preneur s’était conformé à son obligation de remise en état administrative (Cass. 3ème civ., 17 juin 2009, n°08-14.080 : Bull. civ. III, n°50 ).

Dans cette affaire, la Haute juridiction a approuvé la Cour d’Appel de Paris d’avoir retenu que le preneur n’avait commis aucun manquement, ni à ses obligations contractuelles ni à ses obligations réglementaires, en laissant le terrain affecté d’une pollution résiduelle inhérente à l’activité de décharge dès lors qu’il avait mis en oeuvre les mesures administratives prescrites.

En conséquence, la demande de dommages et intérêts du bailleur fondée sur la responsabilité contractuelle pour défaut de restitution locataire a été rejetée.

Cette solution doit être approuvée.

En effet, il ne pourrait être demandé à l’exploitant d’une décharge non propriétaire du site de dépolluer complètement celui-ci à la fin de son activité quand bien même le sol aurait été vierge de toute pollution lors de la prise de possession des lieux.

Cette situation apparaîtrait aberrante et constituerait certainement un frein majeur dans l’exercice de certaines activités. Elle ne serait d’ailleurs pas non plus conforme au principe polluer-payeur car le bailleur s’enrichit de loyers produits d’une activité industrielle qu’il sait pertinemment polluante.

Seule l’obligation de remise en état imposée par l’administration doit, dans le silence du bail, être clairement remplie et elle se confond alors avec l’obligation de restitution.

Il convient en effet de considérer que le bailleur, ayant loué son terrain à des fins d’exploitation de décharge, a accepté la destination de celui-ci et donc la pollution inhérente à l’activité exploitée en fin de bail.

Reste que la jurisprudence n’est pas encore parfaitement fixée sur la faute du preneur à bail exploitant d’installations classées. En l’absence de toute décision claire et précise sur ce point par la Cour de Cassation, il faut donc se garder de toute affirmation péremptoire quant à la solution qui pourrait être retenue. Dans un souci de sécurité juridique, il ne peut donc qu’être conseillé tant aux bailleurs qu’aux preneurs de prévoir contractuellement l’exigence de remise en état du site.

Marie LETOURMY

Avocat au barreau de Lille

Green law Avocat