Apports de la loi Macron : l’action en démolition en voie de disparition

Insurmountable obstacle. Nondestructive wallPar Maître Lou DELDIQUE

(Grenn Law Avocat)

Entre autres innovations, la récente loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, (Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, consultable ici) a considérablement restreint le champ d’application de l’action en démolition qui peut être engagée par les tiers sur le fondement de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme.

Rappelons que cette disposition permet de solliciter du juge civil la destruction des constructions édifiées conformément à un permis de construire lorsque celui-ci a été annulé par le juge administratif, donc des constructions devenues illégales à l’issue d’un contentieux engagé par des tiers.

Ce mécanisme a toujours fait l’objet de nombreuses critiques, car il expose le pétionnaire à un important risque d’insécurité juridique.

Une première restriction avait été posée par la loi Engagement national pour le logement du 13 juillet 2006, qui avait encadré l’action dans un délai strict de deux ans à compter de l’annulation définitive du permis de construire par le juge.

En effet, sous l’empire du droit antérieur, le tiers lésé pouvait agir devant les juridictions judiciaires dans un délai de cinq ans à compter de l’achèvement des travaux. Cette action pouvait être exercée à la suite de l’annulation du permis dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, mais elle était également recevable en l’absence de toute décision préalable du juge administratif (le litige faisait alors l’objet d’une question préjudicielle adressée à ce dernier).

La jurisprudence de la Cour de cassation a également tempéré les possibilités de démolition, en jugeant que l’obtention d’un permis de régularisation pouvait faire obstacle à la mise en œuvre de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme. Ainsi, dans une affaire où le permis de construire pour l’édification d’une plate-forme de compostage des déchets avait été annulé par la cour administrative d’appel, la Cour de cassation a débouté les propriétaires voisins de leur action en démolition au motif que les travaux étaient conformes au permis de régularisation délivré entre les deux instances et dont la légalité avait été validée par le juge administratif (Cass. 3e civ., 20 nov. 2013, n° 12-26.595).

Mais la loi Macron va bien plus loin, puisqu’elle ajoute une nouvelle condition à l’exercice de toute action en démolition : en effet, celle-ci ne pourra dorénavant plus être engagée que si la construction se situe une zone bénéficiant d’un régime de protection.

La démolition n’est donc plus le principe, mais l’exception, puisqu’elle n’est plus possible dans les secteurs ordinaires.

Lors des débats parlementaires, cette (r)évolution a été justifiée par la nécessité de sécuriser les opérations d’urbanisme, dans la lignée des recommandations du rapport Labetoulle de 2013. Notons toutefois que la liste des zones encore concernées par l’article L. 480-13 est particulièrement longue et variée. Il s’agit ainsi :
« a) des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard mentionnés au II de l’article L. 145-3, lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l’occupation et à l’utilisation des sols ;
b) des espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques mentionnés à l’article L. 146-6, lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l’occupation et à l’utilisation des sols ;
c) de la bande de trois cents mètres des parties naturelles des rives des plans d’eau naturels ou artificiels d’une superficie inférieure à mille hectares mentionnée à l’article L. 145-5 ;
d) de la bande littorale de cent mètres mentionnée au III de l’article L. 146-4 ;
e) des cœurs des parcs nationaux délimités en application de l’article L. 331-2 du code de l’environnement ;
f) des réserves naturelles et des périmètres de protection autour de ces réserves institués en application, respectivement, de l’article L. 332-1 et des articles L. 332-16 à L. 332-18 du même code ;
g) des sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 dudit code ;
h) des sites désignés Natura 2000 en application de l’article L. 414-1 du même code ;
i) des zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnés au I de l’article L. 515-16 dudit code, de celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l’article L. 562-1 du même code ainsi que de celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l’article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d’étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé ;
j) des périmètres des servitudes relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement instituées en application de l’article L. 515-8 du code de l’environnement, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d’implanter des constructions ou des ouvrages ;
k) des périmètres des servitudes sur des terrains pollués, sur l’emprise des sites de stockage de déchets, sur l’emprise d’anciennes carrières ou dans le voisinage d’un site de stockage géologique de dioxyde de carbone instituées en application de l’article L. 515-12 du même code, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d’implanter des constructions ou des ouvrages ;
l) des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine créées en application de l’article L. 642-1 du code du patrimoine ;
m) des périmètres de protection d’un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques prévus aux quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 621-30 du même code ;
n) des secteurs délimités par le plan local d’urbanisme en application des 2° et 5° du III de l’article L. 123-1-5 du présent code ;
o) des secteurs sauvegardés créés en application de l’article L. 313-1. » (extrait de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme)

On imagine aisément que le caractère « touffu » de cette énumération ne sera pas sans poser un certain nombre de difficultés d’interprétation… Surtout, on peut légitimement s’interroger sur les conditions d’application ratione temporis de ce nouveau texte. La loi ne précise en effet pas si l’existence de zones protégées doit être appréciée à la date de délivrance du permis, ou à la date à laquelle statue le juge judiciaire. Cette seconde hypothèse nous semble tout à fait envisageable, car s’agissant d’une loi pénale plus douce, elle devrait être considérée comme d’application immédiate. De plus, l’existence d’un risque de trouble à l’ordre public sera a priori appréciée par le juge à la date de sa décision.

Or ces questions ne pourront être tranchées qu’une fois les premières décisions faisant application du nouvel article L. 480-13 rendues…