Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques : to be or not to be ?

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Par Maître Yann BORREL (GREEN LAW AVOCATS)

On se souvient qu’une proposition de loi a été déposée au Sénat le 13 juillet 2016 en faveur de la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Cette proposition de loi a été adoptée le 1er février 2018, en première lecture, par le Sénat.

Son adoption témoigne de la prise de conscience par les élus de la Chambre Haute de la nécessité d’instituer un cadre législatif prudentiel permettant l’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques en l’état des connaissances scientifiques concernant les effets de ces produits sur les personnes. La proposition de loi s’appuie, à cet égard, sur l’expertise que l’I.N.S.E.R.M a rendue publique en juin 2013. Cette expertise fait état « d’un lien entre l’utilisation de certains pesticides, dont les produits phytopharmaceutiques, et la survenue de plusieurs pathologies graves ».

Or si le droit actuel n’exclut pas la possibilité pour les victimes des produits phytopharmaceutiques d’obtenir réparation au moyen des tableaux des maladies professionnelles, ce dispositif de réparation apparaît, aux yeux des Sénateurs, insatisfaisant ou à tout le moins, insuffisant. Déjà, dans un Rapport datant de 2012 sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement (téléchargeable ici), la Mission commune d’information sénatoriale avait pointé du doigt :

–      le caractère insatisfaisant du système d’indemnisation du point de vue de la responsabilité au sens large, dans la mesure où il fait exclusivement reposer sur la collectivité le poids financier de la réparation ;

–      le caractère trop sélectif du système, celui-ci ne touchant que les travailleurs au contact du risque « pesticides » ;

–      le caractère trop rigide des critères d’obtention de la reconnaissance de maladie professionnelle, les tableaux correspondant aux maladies professionnelles étant inadaptés.

Dans ce contexte, la proposition de loi a pour finalité de compléter le dispositif de réparation existant. Il vise à permettre la prise en charge de la réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, en ce compris les enfants atteints d’une pathologie occasionnée par l’exposition de leurs parents à ce type de produits.

En l’état du texte adopté par le Sénat, le système d’indemnisation repose sur une présomption de causalité : précisément, il appartient au demandeur de justifier de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques et de l’atteinte à l’état de santé de la victime. Vaut, en particulier, justification de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques, la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par ces produits au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité (cf. art. 3). Pour pouvoir apporter cette justification, il est prévu que le demandeur dispose d’un droit d’accès à son dossier, sous réserve du respect du secret médical et du secret industriel et commercial.

La proposition de loi définit un délai de prescription de 10 années et précise que les dates de déclenchement de ce délai varient selon qu’il s’agit d’une maladie initiale ou d’une aggravation de la maladie. Le délai commence à courir, pour la maladie initiale, à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques (cf. art. 8).

La proposition de loi expose également les modalités d’indemnisation des victimes par le fonds (cf. art. 4). Elle prévoit que l’acceptation de l’offre vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice (cf. art. 4). La proposition de loi prévoit également que le fonds d’indemnisation peut se substituer au demandeur dans son action en justice contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation (cf. art. 6).

Enfin, il est prévu que le fonds soit financé par l’attribution d’une fraction de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques prévue à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime (cf. art. 7).

Alors que la proposition de loi doit être examinée prochainement par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le Gouvernement s’oppose pour l’instant, par la voix de son Ministre de la Santé, à la création d’un fonds d’indemnisation au profit d’un renforcement de l’indemnisation dans le cadre du système des accidents du travail et des maladies professionnelles. Devant les Sénateurs, Madame le Ministre de la Santé a justifié sa position par le fait que « la création d’un tel fonds [lui] apparaît prématurée. Nous connaissons encore trop mal les risques sur la santé d’une exposition à un ou plusieurs produits phytopharmaceutiques ». Elle a, à cet égard, mis en avant le caractère plurifactoriel de certaines pathologies. Elle a fait également observer que le dispositif d’indemnisation via un fonds serait « déresponsabilisant », au motif que les industriels bénéficieraient « d’une décharge de responsabilité individuelle contre une prise en charge mutualisée des risques » .

Ces explications ont suscité de nombreuses critiques de la part des associations de victimes et des élus auteurs de la proposition de loi. Outre la littérature scientifique, ces derniers pourront se prévaloir d’un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux encourageant l’instauration d’un tel fonds (sur ce point cf. un précédent article de Green Law : https://www.green-law-avocat.fr/vers-un-fonds-dindemnisation-des-malades-victimes-de-pesticides/. En effet, ce Rapport (téléchargeable ici) désamorce plusieurs critiques que la Ministre a formulées à l’endroit de la proposition de loi. Celle-ci paraît « recevable » pour les auteurs du rapport, « sous réserve d’ajustements et d’arbitrages quant au correct dimensionnement du fonds et quant à ses sources de financement ».

Le sort qui sera réservé à la proposition de création d’un fonds d’indemnisation n’est donc pas encore scellé. Affaire à suivre…