Energie: le régime juridique de l’autoconsommation d’électricité en cours de constitution (Ordonnance du 27 juillet 2016)

Par Stéphanie Gandet -Avocat associé-, et Sébastien BECUE, Avocat

Nous nous faisions récemment l’écho de la publication du projet d’ordonnance relatif à l’autoconsommation d’électricité préparé en application de l’article 119 I. 3 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a depuis donné son avis – assez critique – sur le projet, par une délibération en date du 13 juillet 2016, et la Ministre de l’environnement a publié, le 28 juillet, un rapport particulièrement éclairant au Président de la République.

Le texte définitif a été publié le même jour et ses dispositions codifiées au sein d’un nouveau Chapitre V « L’autoconsommation », composé de huit articles, au sein du livre III du titre Ier du code de l’énergie.

L’ordonnance permet d’intégrer, enfin, l’autoconsommation dans le corpus juridique du code de l’énergie (I). Les questions relatives au régime spécifique de l’autoconsommation collective (II) et à la destination de la part d’énergie non consommée par les consommateurs finals (III) méritent un éclairage spécifique.

Un comparatif commenté entre les dispositions du projet d’ordonnance et celles de l’Ordonnance finalement parue au JO est disponible ici :Comparatif projet et Ordonnance publiée autoconsommation

1. L’autoconsommation intégrée au droit de l’énergie

Enfin dotée d’une définition juridique (1), l’autoconsommation intègre le code de l’énergie comme un nouveau mode de production (2) et bénéficiera d’un TURPE spécifique à définir (3).

  1. La définition de l’autoconsommation.

L’opération d’autoconsommation est définie comme « le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même tout ou partie de l’électricité produite par son installation » (nouvel article L. 315-1).

Malgré une pratique existante, l’autoconsommation en faisait, étrangement, pas l’objet d’une définition juridique jusqu’alors.

Au regard de la place accordée aux nouvelles dispositions de valeur légale, introduites par l’Ordonnance du 27 juillet 2016, il est intéressant de relever que le photovoltaïque n’est potentiellement pas la seule technologie concernée par l’autoconsommation.

  1. La réaffirmation d’un droit d’accès au réseau pour les opérations d’autoconsommation

Les autoproducteurs, pourvu qu’ils respectent les conditions prévues le Code de l’énergie, se voient accorder un droit d’accès au réseau au même titre que les producteurs bénéficiant d’un contrat d’achat (article L. 111-91 modifié).

En sa qualité de gestionnaire du réseau de distribution, la société ENEDIS est tenue de mettre en œuvre « les dispositifs techniques et contractuels nécessaires, notamment en ce qui concerne le comptage de l’électricité, pour permettre la réalisation dans des conditions transparentes et non discriminatoires des opérations d’autoconsommation » (L. 315-6). A cette fin, le modèle de convention de raccordement pour des installations en autoconsommation totale de mars 2016 sera amené à évoluer compte tenu des obstacles que ce modèle contient encore.

  1. L’obligation de déclarer l’installation de production en autoconsommation avant sa mise en service

Tout exploitant d’une installation de production d’électricité participant à une opération d’autoconsommation est tenu de la déclarer à ENEDIS, préalablement à sa mise en service (L. 315-7). L’exploitant qui participe déjà une opération d’autorisation est sommé de satisfaire à cette exigence de déclaration avant le 31 mars 2017 (article 3 de l’ordonnance).

Ces dispositions peuvent s’interpréter comme permettant à des centrales déjà mises en service de « basculer » en autoconsommation si le producteur (et éventuellement un consommateur, s’ils sont différents) trouve un intérêt à l’opération. On peut néanmoins encore s’interroger sur la possibilité et, le cas échéant, sur les conséquences d’un basculement d’un dispositif « obligation d’achat » vers celui d’autoconsommation. Des précisions pourraient utilement être fournies par les décrets d’application.

  1. La mise en place de TURPE spécifiques.

La CRE est missionnée pour établir des TURPE spécifiques pour les consommateurs participants à des opérations d’autoconsommation, lorsque la puissance installée de l’installation de production qui les alimente est inférieure à 100 kW (Art. L. 315-3). Ce tarif spécifique est justifié par les « réductions de coûts de réseau » résultant de l’opération d’autoconsommation, notamment lorsque l’électricité est produite par des installations de faible puissance (rapport au Président).

Le ministère a écarté la remarque de la CRE qui ne trouvait pas nécessaire d’établir des TURPE spécifiques pour l’autoconsommation et expliquait qu’elle en aurait de toute façon tenu compte dans la fixation des TURPE « généraux ». Toutefois, les installations de plus de 100 kW y resteront soumis.

 

 

2. Le régime spécifique de l’autoconsommation « collective »

L’autoconsommation est dite « collective » « lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur une même antenne basse tension du réseau public de distribution » (nouvel article L. 315-2 du code de l’énergie).

Plusieurs points de ce régime interrogent : le recours à une structure dédiée liant consommateurs et producteurs (1), la portée géographique de l’opération (2) et l’emploi de la notion de « fourniture d’électricité » (3).

  1. Le recours à une structure dédiée

Alors que le projet d’ordonnance prévoyait que dans le cadre d’une autoconsommation collective le ou les producteurs et le ou les consommateurs devaient être liés entre eux « notamment » par l’une des formes juridique suivantes : association, coopérative et syndicat de copropriétaires, sans que cela ne soit une obligations, l’Ordonnance finalement parue retient des termes beaucoup plus contraignants : ainsi, producteurs et consommateurs doivent, dans le cadre d’une autoconsommation collective se réunir au sein d’une société.

La forme juridique de cette société demeure libre, et les acteurs devront analyser, au cas par cas, selon les usages des bâtiments, leurs activités respectives, la fiscalité applicable et l’équilibre contractuel qu’ils souhaitent trouver, la forme juridique la plus adéquate. En effet, le choix de la forme juridique idoine sera crucial car il aura des répercussions financières directes et indirectes.

Le rapport au Président de la République précise que l’autorisation collective a principalement été pensée pour permettre l’autoconsommation au sein de logements collectifs ou de centres commerciaux et il est vrai qu’en pratique, ce sont des applications probables de l’autoconsommation collective.

La personne morale réunissant consommateurs et producteurs est qualifiée à l’article L. 315-4 de personne « organisatrice de l’opération ». Plusieurs interrogations essentielles sont soulevées à ce stade.

Il est possible de considérer que sa vocation première est de régir les relations entre consommateur et producteur s’agissant des obligations liées à la centrale. Par ailleurs, la structure dédiée est chargée d’indiquer au gestionnaire de réseau la répartition de la production autoconsommée entre les consommateurs finals concernés, lorsqu’ils sont plusieurs (L. 315-4).

Enfin, il est précisé que, dans le cadre d’une opération d’autoconsommation collective, la répartition entre autoconsommation et consommation d’électricité provenant d’un fournisseur extérieur sera gérée par ENEDIS, qui établira « les index de consommation de l’électricité relevant de ce fournisseur » à partir des relevés de production transmis par la structure dédiée.

  1. La portée géographique de l’opération : points de soutirage et d’injection sur une même antenne basse tension

Le texte définitif abandonne la notion de « site » prévue dans le projet, qui semblait trop rigide et aurait pu donner lieu à des arguties juridiques inutiles, surtout que la portée géographique de l’opération reste limitée par l’obligation de situer les points de soutirage et d’injection sur une même antenne basse tension du réseau.

Sur ce point, on note que le ministère n’a malheureusement pas tenu compte de la remarque de la CRE lui recommandant de remplacer le terme « antenne basse tension » par l’expression plus conforme techniquement de « départ basse tension ». Gageons que les gestionnaires de réseau sauront définir juridiquement cette notion non encore usitée, afin d’améliorer la sécurité juridique de ce point déterminant pour la qualification d’autoconsommation collective.

  1. Les incertitudes liées à l’utilisation de la notion de « fourniture d’électricité »

Il y a lieu de s’interroger sur les conséquences de l’emploi, par l’Ordonnance finalement parue, de la notion de « fourniture d’électricité », qui est tout sauf anodine : le projet d’ordonnance parlait en effet de « vente d’électricité » et la CRE, dans son avis sur le projet de texte recommandait d’ailleurs « que le régime des fournisseurs souhaitant réaliser de l’achat pour revente et des contrats de fourniture correspondants [ne soit] pas applicable aux utilisateurs participant à une opération d’autoconsommation collective ».

C’est que l’expression fait en effet directement écho, sans que le renvoi soit expresse, au régime de la fourniture d’électricité prévu aux articles L. 333-1 et suivants du code de l’énergie.

Ce régime (auquel sont normalement soumis les fournisseurs d’électricité pratiquant l’achat pour revente) paraît effectivement trop lourd pour une simple opération d’autoconsommation collective. Entre autres, il nécessite l’obtention d’une autorisation ministérielle après le dépôt d’un dossier de demande et la présentation de garanties et oblige le fournisseur à rendre compte au consommateur d’informations liées à l’origine de l’électricité qui ne se justifient pas dans le cadre de l’autoconsommation.

Surtout, le texte ne précise pas qui aura la qualité de fournisseur d’électricité (si une telle qualité n’est pas expressément exclue dans les textes à venir) : le producteur ou la structure dédiée ?

Il semble plus logique, au regard des documents publiés, que ce soit le producteur et non la société commune, mais ce postulat pourra être amené à évoluer en fonction des décrets d’application à venir. On peut encore s’interroger sur la question de savoir de qui, du producteur ou de la structure dédiée, sera chargé de facturer l’électricité aux consommateurs finals.

On note enfin que le ministère n’a pas retenu la proposition de la CRE consistant à intégrer à la notion d’autoconsommation l’hypothèse dans laquelle l’électricité fournie aux consommateurs proviendrait d’une installation de stockage d’électricité. Or, cet ajout aurait permis d’anticiper sur l’évolution à venir de cette technologie en plein développement.

 

 

3. La destination de la part d’énergie non consommée par les consommateurs finals (le surplus)

Le nouvel article L. 315-5 du code de l’énergie prévoit que « les injections d’électricité sur le réseau public de distribution effectuées dans le cadre d’une opération d’autoconsommation à partir d’une installation de production d’électricité, dont la puissance installée maximale est fixée par décret, et qui excèdent la consommation associée à cette opération d’autoconsommation sont, à défaut d’être vendues à un tiers, cédées à titre gratuit au gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité auquel cette installation de production est raccordée. 

Ces injections sont alors affectées aux pertes techniques de ce réseau ».

Il existe deux hypothèses de destination de la part d’énergie non-autoconsommée : la revente (1) ou la cession à titre gratuit (2) ; l’injection étant de toute façon conditionnée par la capacité de l’installation de production (3).

  1. La possibilité de vendre l’électricité à un tiers

Alors que le texte en projet prévoyait que le fournisseur pour la vente du surplus (en injection) devait être le même que celui choisi pour l’alimentation complémentaire (en soutirage) du consommateur, l’Ordonnance du 27 juillet 2016 ne fait plus ce lien.

Il apparaît donc que deux fournisseurs différents peuvent être choisis

  • L’un par le producteur pour l’injection du surplus;
  • L’autre éventuellement par le consommateur pour le soutirage nécessaire à ses besoins non couverts par l’autoconsommation.

Cette possibilité permet de respecter le principe légal de libre choix du fournisseur d’électricité par le consommateur mais risque indéniablement de complexifier les relations contractuelles.

Alors que le projet d’ordonnance prévoyait explicitement la possibilité pour le consommateur final participant à une opération d’autoconsommation de « faire appel au fournisseur de son choix pour compléter son alimentation en électricité », le texte final n’y fait plus référence que de manière indirecte, à l’article L. 315-4, et uniquement dans le cas de l’autoproduction collective.

Il est probable que les conditions du recours au fournisseur complémentaire, y compris pour l’autoconsommation individuelle, seront précisées dans le décret d’application à venir.

  1. La cession à titre gratuit au gestionnaire de réseau

A défaut d’être vendu à un fournisseur choisi par le producteur, le surplus d’électricité non consommé sera cédé à titre gratuit au gestionnaire de réseau.

Cela conduira certainement les acteurs de l’opération à rechercher la meilleure adéquation entre les capacités de production de l’installation de production et les besoins réels, quoique fluctuants, du ou des consommateurs finals, dans une logique de réduction de la perte d’énergie non rémunérée.

Le ministère n’a pas tenu compte de la préconisation de la CRE qui estimait préférable d’expérimenter de la cession à titre gratuit pendant une « période transitoire […] d’une durée déterminée », suivie d’une évaluation.

La disposition précise encore que les injections seront affectées aux pertes techniques de ce réseau. La notion comptable de pertes techniques se définit comme la différence entre les quantités d’électricité injectées dans le réseau et les quantités soutirées liée à des causes techniques. Il apparaît donc que l’électricité injectée à titre gratuit viendra compenser ce poste comptable.

 

  1. Des possibilités d’injection conditionnées par une puissance installée maximale de l’installation de production

La possibilité d’injecter le surplus d’électricité sur le réseau sera conditionnée au respect d’une limite de puissance installée maximale de l’installation de production qui sera définie ultérieurement par décret, le rapport indiquant qu’il « est envisagé que ce plafond soit fixé à environ 3 kilowatts, ce qui correspond à une installation d’autoconsommation domestique ». La fixation de ce seuil constituera une véritable variable d’ajustement du type d’opérations d’autoconsommation à privilégier.

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La Ministre de l’environnement a annoncé par communiqué la publication imminente d’un premier d’appel d’offres pour des installations en autoconsommation à destination des « consommateurs des secteurs industriels, tertiaires et agricoles, en particulier aux centres commerciaux, acteurs économiques pour lesquels l’autoconsommation peut apporter les bénéfices les plus importants ».

Espérons toutefois que les dispositions d’application de cette ordonnance suivront rapidement, l’incertitude étant toujours un frein au bon développement d’une nouvelle activité, surtout sur un marché oligopolistique dont les acteurs disposent de pouvoirs exorbitants.